Je m’avance tranquillement dans le réfectoire avec un plateau bien garnie, ce qui pourrait en étonner plus d’un, étant donné la maigreur significative de mon corps, j’aimerai parfois pouvoir entrer dans mon propre corps pour comprendre ce métabolisme étrange, mais qui, je dois me l’avouer, reste plus que pratique, je n’ose imaginer l’état de ma peau si cette dernière devait être tiraillée par le poids de la nourriture, cette enveloppe corporelle que Dâme Nature m’a fait si fragile et dont je suis fier. Fier de ma différence, fier de ce que je suis.

Le soleil est déjà à son zénith et, me forçant à garder le visage couvert, du moins, autant que je le puisse, sous une capuche se terminant juste au dessus de mes yeux, ne me permettant pas de voir plus loin que devant moi et cela m’est déjà bien suffisant en vu de la scène se déroulant sous mes yeux : Une jeune fille vient de faire tomber l’entièreté de son plateau qui ne reste plus qu’un souvenir sur le sol. Mon âme me cri qu’il serait chevaleresque de partager le mien et c’est en ignorant les élèves s’esclaffer que je m’agenouille à ses cotés après avoir posé le mien sur une table laissée à l’abandon afin de ne pas faire la même erreur, connaissant mon don pour la maladresse.

Je reste hésitant, il serait déplacé d’être trop tactile avec une femme encore en bouton, osant après avoir lourdement débattu avec moi-même sur les conséquences inexistantes de mon geste à placer une main sur son épaule, souriant à la jeune fille de mon mieux en écartant les restes de nourriture ainsi que de porcelaine brisées à nos genoux, les plaçant minutieusement sur le plateau renversé, ayant, dans un coup d’œil furtif, remarqué la main tremblante de la mignonnette se trouvant actuellement à mes cotés, supposant une blessure qui pourrait être la cause de tout ce remue ménage.

- Il serait ennuyeux que vous vous coupiez alors que vous êtes déjà blessée, jeune fille, et il semblerait que ce plateau soit immangeable, je ne pourrais permettre qu’une jeune femme ternisse sa beauté en s’affamant pour une maladresse, partageons donc mon repas, il y en a bien assez pour deux.

Alors que je lui sourie à nouveau, cherchant à être aussi doux que possible, connaissant le potentiel frayeur de mon aspect fantomatique, je propose une main afin de l’aider à se remettre sur pied, prêtant enfin attention au visage que je dois qualifier d’une grande beauté de la jeune fille.

-Je ne voudrais point vous déranger. Vous m'avez déjà aidé ce qui est fort aimable, mais je ne voudrais pas exploiter votre gentillesse. Surtout que vous devrez avoir à faire non ? Enfin si vous voulez vraiment que je prends mon repas avec vous ça serait un honneur.

Je lui pince une joue, attendrie par cette petite adolescente qui semble avoir un petit complexe que je ne saurais déceler pour le moment, me donnant l’envie de la préserver dans un petit cocon protégé. Cela pourrait tinter de façon perverse aux oreilles de n’importe qui, mais ce genre de personne sachant restant digne, acceptant l’aide extérieur dans une situation humiliante telle que la sienne, huée par ses semblables pour une petite maladresse qui me laisse penser n’en être peut-être pas une au final, sans se murer dans le silence pour autant, faisant face à ses détracteurs. Cela m’attendris d’autant plus que je me revois en elle, ne pliant pas à la situation, certes, le coup moral laissant apercevoir la honte que procure une telle situation, chose qu’un garçon, pour ne pas empirer la situation, est conditionné à ne montrer qu’aux plus proches personnes qui accompagneront son existence, mais les larmes aux coins des yeux de cette enfant mon émues. J’aimerai pouvoir lui venir en aide et lui donner l’opportunité d’endurcir son caractère pour pouvoir faire taire en quelques mots une assemblée de visages déformés par les rires sinistres et les mauvaises paroles. Je ne sais pourquoi l’on s’en prend à elle de la sorte, et il me semblerait très impoli d’être indiscret. Puis, mon objectif à partir de cet instant n’est pas de remuer des souvenirs qui pourraient être douloureux, bien que je lui proposerais mon oreille attentive si le besoin s’en fait sentir pour elle, mais de l’amuser, de la restaurer, afin qu’elle oublie ce mauvais souvenir, les rancunes ne donnent jamais de bonnes choses. Et maintenant que j’ai rencontré cette enfant, je serais plutôt contrariée qu’elle quitte l’établissement parce qu’elle s’y sent mal, j’ai comme envie de jouer le rôle de grand frère envers elle.

Elle fini par s’asseoir à ma table finalement, je sourie face à ma petite victoire de la journée et me permet me placer à ses cotés, bien à l'abris de la lumière du jour dans le fond de la salle, je retire enfin ma capuche pour dévoiler mon visage entièrement, puis je m'atèle à la lourde tache de la séparation la nourriture en deux part parfaitement égales pour ne pas faire de jaloux. Au menu du jour ? Un tour simple steak/frite, certes, peut sain pour le corps en vu des quantités données aux élèves, mais efficace pour satisfaire l’appétit et surtout les envies d’adolescent de leur âge. Je m’amuse à voler une frite dans son assiette que je déguste, toujours avec sourire, devant ses yeux pour la provoquer un peu, il faut croire que je suis retourné à l’année de mes 16 ans, agrandissant mon sourire à cette idée, il ne faudrait quand même pas oublier mon grade actuel au sein de cette école. J’essaye donc de reprendre mon sérieux en me positionnant bien droit pour manger avec une certaine élégance, sans pour autant égaler celle d’un garçon de bonne famille, mes parents m’ayant éduqué pour que je sois poli, certes, mais pas non plus trop droit, il faut savoir rester humble et ne pas se croire trop haut dans l’échelle sociale, chacun à sa place et le monde peut tourner sans problème.

Tiens, d’ailleurs, par rapport à cela, j’ai pu constater que la jeune fille à mes cotés employait un vocabulaire très soutenu pour une jeune fleur de son âge, cela attise ma curiosité que l’on puisse ce moquer d’une personne parlant de la sorte, dans un monde logique, ses camarades devraient craindre les représailles et donc rester courtois avec elle, et pour le coup, l’envie de lui poser la question me titille les lèvres. Ma curiosité me rappelle également que je ne connais pas le prénom de cette adorable créature, je me décide donc en me tournant vers elle dans un petit geste qui me semble inconfortable, dû à la maigreur de ma peau, laissant mes os à vif taper contre cette dernier et le matériaux de ma chaise dans un petit gémissement de douleur presque audible, attrapant aussi avec la plus grande des délicatesse sa main blessée.

- Bonjour, nous ne nous sommes pas présentés, je suis Hilth Fukamae, le nouveau professeur de Littérature, et il semblerait que vous ayez piqué ma curiosité. Je me demandais comment une charmante demoiselle brimée de la sorte pouvais se retrouver dans ce genre de situation en vu de votre niveau de langue. Je tiens aussi à vous dire que si un soucis de ce genre venait à se reproduire, n’hésitez pas à venir m’en parler, je suis tout ouïe pour écouter une charmante jeune fille ou la laisser pleurer sur mon épaule, en tout amitié, bien entendu !

Je lui fais un sourire princier, malaxant légèrement son poignet.

- Il semblerait que vous soyez blessée ? J’espère que ce n’est pas trop grave… Ne vaudrait-il pas aller voir un médecin ou, au mieux, poser une atèle ? Je dois en avoir une dans mon logement, nous pourrons aller la chercher plus tard si vous le souhaitez, je ne voudrais pas voir votre condition empirer…