~Rock the Casbah~Ma lourde valise traînant derrière moi, les cheveux au vent, le regard embué par la fatigue, me voilà debout devant ce miteux pensionnat. Le bâtiment a de l'allure, c'est certain, mais les élèves et professeurs qu'il héberge ne sont, je le devine, pas issus de familles semblables à la mienne. Je suis déjà agacée par les rencontres que je vais être contrainte à faire, par les cours que je serai forcée de suivre. Pourtant je ne suis pas totalement déçue de devoir m'installer ici. Les gens y sont sûrement plus faibles que je ne le suis, comme partout. Je pourrai m'amuser à d'infâmes tortures sur leurs pauvres esprits, me délecter de la sourde souffrance que je leur infligerai suite à d'habiles manipulations. Un jour, un type a dit
"L'enfer, c'est les autres", mais je ne suis pas d'accord. Dans la réalité, l'enfer, c'est moi, ou alors un monde ou les autres ne pourraient plus servir ma volonté et mes vices. Enfin... Espérons que cet endroit regorge au moins de quelques proies séduisantes. J'avance, j'ai hâte de découvrir mon tout nouveau cadre de vie. J'ai reçu il y a une semaine environ une lettre d'usage, jointe au règlement des lieux, qui s'était rapidement retrouvée froissée dans une des mes poches. Je m'arrête quelques secondes pour la chercher, et continue à marcher tout en la rendant plus lisse, pour pouvoir y lire le numéro de la chambre que l'on m'a assignée. La B3. Il est aussi écrit que ma colocataire, qui suit des cours ici depuis un moment déjà, devrait s'installer à peu près en même temps que moi, suite à une réorganisation de toutes les chambres. Je n'ai pas envie de la rencontrer, qui qu'elle puisse être, elle risque de me déranger. J'ai horreur de partager ma chambre, mon sommeil et mes songes. La pauvre ne va pas passer que de bonnes nuits à mes côtés...
Je m'aventure dans les couloirs. Il n'y a pas grand monde, et les gens que je croise ont l'air plongés dans des activités qui me dépassent. Je suis trop fatiguée pour tenter de les séduire ou de les malmener. Je n'ai qu'une envie, me jeter sur le premier lit venu et laisser Morphée m'emporter. J'ai acquis un sens de l'orientation remarquable depuis que je me suis mise à voyager, du coup, je trouve la porte étiquetée "B3" sans trop de mal. La poignée me résiste, c'est fermé à clé. J'en déduis dans trop de mal que l'autre n'est donc pas encore arrivée pour s'installer. Je fouille une fois de plus dans ma pocher pour en extraire la clé qu'on m'a tendu à l'entrée lorsque je l'ai demandée d'une voix mielleuse.
Le paysage qui se dévoile à moi une fois la porte ouverte achève de ma désoler. Des murs couleur crème, un espace atrocement petit, une piaule minable en comparaison à celles des hôtels luxueux que j'ai l'habitude de fréquenter. Deux lits "une place" trônent de chaque côté de la pièce. Mon dieu, une place seulement, ce sera bien étroit si je décide d'y inviter du monde ! J'imagine que je prendrai vite l'initiative, dans ce genre de cas, de faire crécher ma colocataire dans le couloir et de rapprocher son lit rendu vide du mien. Arbitrairement, je choisis le lit de droite, et y jette négligemment ma valise. J'arrache les élastiques qui retiennent mes longues nattes bleutées, libère ma longue chevelure, retire mes chaussures et m'assois en tailleur à côté de mon bagage. J'en sors des draps, que je mettrai seulement quand j'en aurai le courage, ou que je ferai mettre à ma colocataire quand elle arrivera, et les cale sous ma nuque, histoire qu'ils me servent un moment de coussin. Mes yeux se ferment d'eux-mêmes et je sombre.
Je me réveille en sursaut. Tout mon corps me fait mal, à cause de la position inconfortable que j'ai prise pour succomber au sommeil, et mes yeux piquent parce que je n'ai pas enlevé mes lentilles avant de m'écrouler. J'ai l'impression d'avoir dormi deux jours, mais un quart d'heure seulement s'est écoulé depuis mon arrivée. C'est un satané bruit qui m'a sorti de ma torpeur, et quand je lève les yeux, je comprends. Quelqu'un se tient dans l'encadrement de la porte. Une fille. La fille qui va sûrement me servir de souffre-douleur. Je la toise et lui lance :
«Salut.»Oui, bon, je suis fatiguée, alors je commence doucement. Si elle m'emmerde pas trop ce soir, elle ne commencera à souffrir que demain.