Début de journée maussade. Début de semaine pénible. Première heure aussi longue qu'une promenade à pieds dans les bois de France. Coco marchait le nez caché dans l'encre du papier noirci entre ses mains : elle avait beau avoir déjà changé une ou deux fois d'école en cours d'année, le processus d'intégration aux classes et à l'établissement en son ensemble s'avérait à chaque fois aussi compliqué. Et ces couloirs… comment dire… l'orientation n'avait jamais été son fort et voilà qu'on l'abandonnait à elle-même dans ces dédales de locaux à n'en plus finir ! Et elle était censée localiser par elle-même le bureau de l'administration ! Autant dire que cette première heure au sein de l'établissement n'était qu'une courte ébauche à ce qui l'atteindrait pour le reste de la journée… d'une durée définitivement indéterminée et non pour son plus grand plaisir.

Une main enfouie dans l'une des poches de son sweat, le regard grand et curieux lisant le numéro de chaque local avec attention, l'adolescente prenait néanmoins garde à ne pas manquer de foncer dans un objet ou dans un quelque retardataire traversant le couloir. Les élèves qui circulaient toutefois encore à cette heure hors des classes ne demeuraient pas à proximité des salles d'histoire et de géo, ils flânaient plutôt à l'arrière d'une cour, s'ils avaient les mêmes habitudes que les lycéens de son ancien établissement. Tous les mêmes après tout. Tous cachant des méfaits qu'ils se disaient assumer avec fierté. Tous des hypocrites dont le souvenir lui fit lever les yeux au ciel, ceux-ci se heurtant douloureusement au plafond.

S'arrêtant un instant à l'enchevêtrement de deux allées, Coco pensa à sa mère, désormais seule dans une maison vide plus de quinze heures par jour, bien que celle-ci n'ait pas le temps d'y songer, noyée sous le travail. Plus tard dans la journée, elle lui apporterait ses affaires afin qu'elle puisse s'installer plus confortablement au sein de l'internat, même si ce n'était que pour quelques jours. L'année toucherait bientôt à son terme et les grandes vacances s'annonceraient, ainsi que, deux mois plus tard, une seconde seconde année de lycée. Un cauchemar bis. Un soupir qu'elle lâcha d'un coup en pensant à sa mère qui, définitivement, devait être désespérée pour l'avoir envoyée dans cet internat.

Dans cet internat, elle n'avait plus de refuge, plus d'endroit où se cacher. Sa chambre, ici, ne serait même pas un lieu sûr, car peut-être l'avait-on installée dans une chambre où une fille demeurait solitaire depuis le début de l'année, et il ne fallait pas être un génie pour savoir que celle-ci serait "ravie" de partager une pièce déjà si petite pour une seule personne avec sa petite personne si discrète et en soi si inutile. Comment se faire une ennemie facilement, merci infiniment, maman. Que ferais-je sans toi ? Pas mal de choses, Coco devait se l'avouer.

Peut-être aurait-elle déjà pris le premier train pour l'Allemagne, afin de rejoindre la seule personne qui la comprenait un peu dans ce bas monde et ayant un soupçon de sympathie franche à son encontre. Oui, elle l'aurait fait sans hésiter, si sa mère ne l'avait pas enchainée à cette école dont les allées éclairées et les motifs gravés avaient cessé de l'impression au terme des deux ou trois minutes qui avaient succédé son arrivée.

Ainsi, sur cette pensée, la nouvelle étudiante poursuivit sa progression à travers le labyrinthe. Son attention s'était détournée du plafond pour de nouveau se concentrer sur le parchemin dactylographié en sa possession. Empoignant la clinche d'une porte sans même la regarder, elle enclencha le mécanisme sans non plus accorder un gramme d'attention à l'éventuelle présence d'autrui de l'autre côté, ce pourquoi ses mains et bras tremblèrent à l'obstacle que rencontra le battant. Ses yeux, aussi, s'étonnèrent, s'arrondirent à l'adresse de l'individu qui produit le labourage de mots qui suivit l'impact. Visiblement la casquette qu'il portait sur la tête n'avait pas amorti le choc…

Coco sentit naitre en son ventre un malaise qui alla jusqu'à enrober l'amusement qui lui chatouilla la gorge aux paroles de sa "victime".


Poser cette question découpa tout ce qui restait de son estomac à l'intérieur de son ventre, en même temps que toute son authenticité. Au fond, qu'avait-elle à se reprocher ? C'était un accident ! Et puis… cet accident l'amusait plus qu'il ne la mettait en peine et son hypocrisie lui brûlait la gorge.

Ce ne fut pas par compassion ou par embarras envers lui que Coco s'empressa de lui empoigner le bras d'une agitation presque fiévreuse, mais plutôt par remords envers elle-même de se montrer aussi ingrate envers sa propre personne.


Le bleu, soucieux malgré lui, de ses yeux s'immisça sous le couvre-chef; comme quoi, sa petite taille ne possédait pas que des inconvénients ! Coco secoua la tête comme pour répondre à sa propre question, souriant cette fois d'une vraie gêne à la constatation de sa proximité un tantinet trop directe avec le garçon. Une fois encore, elle s'excusa. Décidément, la journée débutait encore mieux qu'elle ne le pensait...

Ce fut stupéfaite que Coco cueillit le rire offert par son interlocuteur à sa question. Était-elle à ce point ridicule ? Était-elle à ce point médiocre, au point d'amuser de sa naïveté un parfait inconnu ? Elle esquissa une moue chagrinée, joignant ses deux mains à la feuille tenue parallèlement à son corps. Ses yeux palpaient le sol de si près qu'elle aurait pu d'un moment à un autre s'y retrouver, à même niveau que celui de sa propre estime à cet instant précis. L'envie d'être caméléon et de disparaitre dans le décors brûlait la surface lisse et déjà rose de ses joues. Quelle misère que d'être Homme…

Seulement, son sentiment de rancœur envers elle-même se dissipa tel un nuage de sables poussé par le vent sur les longues plages blanches de Nice en automne, et ce aux paroles prononcées du garçon en face d'elle, amusé mais non d'elle. Ou du moins pas de la manière dont elle l'interprétait : s'il tirait à la suite plusieurs rires, ce n'était pas à cause d'elle et de son acte proprement dits, mais davantage à cause de cet enchainement d'évènements conclu par cet incident et dont elle ignorait les précédents maillons, mais dont pourtant l'étudiante entendait la couleur, sans vouloir l'avouer, dans la voix du garçon à la casquette.

Il résidait également en sa voix un timbre assez particulier. Il ne s'agissait pas des résidus de l'ironie qui venait de passer le seuil de ses lèvres, mais plutôt une empreinte marquée au fer blanc. Sensible et néanmoins présente. Coco la détailla plus attentivement sur le visage de son interlocuteur alors qu'il toisait le plan au mur - elle en avait vaguement reconnu les esquisses. Sûrement n'était-il pas originaire de ce pays pour être détenteur d'un accent si peu dissimulé dans sa voix.

L'étudiante fut freinée dans ses élans de réflexion par celle de son vis-à-vis : celle-ci débuta sur une question pour finalement aboutir par une constatation. Il était visiblement nouvel arrivé et aussi perdu qu'elle dans cet immense suite d'allées, en commençant par celles dessinées sur le plan. Ce fut sur ce dernier que se porta le regard de Coco à ses mots. Elle tentait d'y retrouver ses repères tandis que les yeux du jeune homme se mettaient à clos, avant de s'accorder finalement à elle, plongés dans une lassitude si profonde que son interlocutrice crut un moment s'y perdre. Toutefois, à sa question, elle répondit d'un mouvement de tête.


Par expérience, songea-t-elle en présentant la face rédigée du papier en sa possession à sa face. En espérant que ce soit la dernière fois qu'elle ait à franchir toutes ces étapes.

Il lui dit alors qu'il pourrait, s'il le fallait, se débrouiller seul. Il craignait de la déranger ou, moins directement exprimé, de s'attacher à elle. Qui pourrait lui en vouloir ? Personne n'appréciait la compagnie de gens aussi peu assurés qu'elle… Coco aurait voulu que quelqu'un d'autre lui claque la porte au nez, cela aurait sûrement été plus simple. Cependant, on faisait toujours avec ce que nous donnait la vie; si la nature te donne des citrons, fais de la citronnade; si la vie te présente Coco, fais seulement en sorte de te montrer aimable quelques minutes, elle finira par s'en aller par elle-même de toute façon.


Affirmation faite, Coco pointa sur le plan une croix bleue aux formes soignées. Sur la légende, il était inscrit "Administration des élèves". Elle tenta un sourire sans grand succès.


Deuxième sourire, nerveux. Première personne à laquelle elle s'adressait dans cet établissement et elle avait déjà l'impression de tout faire à l'envers. Coco fit mine de regarder ses instructions rédigées, avant de regarder vers le couloir. Moins elle regarderait ce garçon, moins elle se sentirait mal à l'aise en sa compagnie. Elle accorda plutôt son attention à l'embranchement de couloir à leur droite, il était d'autant moins intimidant.


Coco soupira à la fin de sa songe. Elle redoutait cet instant depuis la seconde-même où elle avait écrasé la porte contre le nez de l'inconnu : le silence s'était installé et elle ne savait plus quoi dire… pour ne pas nuire à ses vieilles manies.

Un pincement. Juste un pincement, au niveau du cœur, au niveau de la trachée et donc au niveau des yeux. Un pincement à la douleur éphémère, mais à la douleur tout de même, quand d'un pas feutré le garçon à la casquette s'engagea en direction du carrefour des allées, offrant ainsi son dos à ses yeux désolés. Un pincement que de se sentir de nouveau seule en l'ayant pourtant voulu. Un pincement amer. Un pincement de puériles regrets que l'on aurait soi-même tirés au bout de sa ligne.

Toutefois, n'eut-elle seulement le temps de s'y accommoder, que ce qui la peinait et la meurtrissait se déroba sous son attention sur le point de se défiler. Coco perçut un regard, un vrai regard par-dessus l'épaule de son interlocuteur à l'accent fort particulier. Un regard qui lui était vraisemblablement adressé. Néanmoins, comme par mesure de sûreté, l'adolescente jeta au préalable une œillade des deux côtés du hall, et ne trouvant pas autre âme qui vive dans les environs, elle put enfin s'avouer comme la destinataire de ses mots. C'était elle et personne d'autre qu'il invitait à le suivre.

D'accord, c'était elle en premier qui lui avait proposé de l'accompagner jusqu'à leur point de destination, mais Coco n'avait jamais cru qu'une seconde en ses chances. Pour elle, il allait ignorer sa proposition et la dédaigner comme l'insinuait son allure plutôt vagabonde, et pourtant trompeuse, à laquelle malgré tout la lycéenne s'était laissée tromper. Ou peut-être était-ce à cet instant qu'elle se laissait emmener dans des illusions à la conclusion aussi douloureuse qu'un mur de briques ? Si elle ne tentait pas l'expérience, elle ne saurait jamais si l'amertume était aussi violente qu'il n'y paraissait.

Ainsi, Coco se mit à la suite de l'inconnu et emboita son pas dans la suite de leur périple, tout en se demandant pour quelle raison les mauvais garçons possédaient tous un sourire irrésistible. Le charme des cœurs noirs, disait-on, et quand la jeune fille vit son interlocuteur lui offrir l'un de ses diamants, elle ne put qu'y croire. S'il savait, ce garçon, quel sourire il possédait, certainement ne serait-il plus seul la prochaine fois qu'elle le croiserait. A supposer, évidemment, qu'il y ait une prochaine fois…

Imperceptiblement, Coco sentait le silence de l'instant peser sur ses frêles épaules. Ils arpentaient les lieux depuis environs quatorze secondes et un, deux, trois, quatre, etc. centièmes, et plus aucun mot ne passait le seuil de leurs bouches, comme si l'élan de leur conversation avait été rompu par cette porte qui, au loin, avait claqué avec ses multiples échos, emportant ainsi tout le bien aise qui avait apaisé l'adolescente pendant le temps de quelques minutes. Des minutes trop courtes, évidemment. A présent elle ne pouvait que se rejeter la faute de cet impeccable blanc de paroles. Un blanc de paroles auquel, toutefois, l'inconnu voulut remédier.

Il s'appelait Samuel, Samuel Winters, un nom qui soulignait une éventuelle origine britannique, ou encore américaine, que bien malgré elle la lycéenne soupçonnait déjà. "To winter", littéralement, signifiait "hiverner". Donc en traduisant le nom complet, cela donnait "Samuel hiverne". Coco leva les yeux au ciel : même ses pensées étaient d'un barbant qu'elle ne saurait décrire.

Réflexion faite, elle se consacra un moment de réflexion. Elle ne se rappelait plus d'où était partie sa réflexion… Quand soudain son propre sursaut la surprit.


Suspension de trois secondes qu'elle passa à dévisager son locuteur et à se questionner sur le caractère logique de ses propos. Il fallait admettre que "Coco" n'était pas un "nom" très sérieux en soi, surtout prononcé d'une manière aussi peu tangible que la sienne.


Un gamin de primaire aurait fait mieux, se dit-elle intérieurement en baissant la tête, frustrée dans toutes ses facettes. Son manque d'assurance était aberrant, presque autant que la largeur de son haut qui tendait peut-être un peu trop vers ses genoux. Coco vissa le bleu profond de ses iris sur la surface lisse de l'une des fenêtres placées diagonalement à sa gauche. Elle se brûla les rétines à essayer d'en retirer une quelque lueur jaune, et ses paupières clignèrent comme pour se débarrasser d'un embarrassant grain de poussière, celles-ci aidées de son index longeant l'œil le plus affecté.

D'une petite voix, elle murmura tout en cherchant l'enseigne de l'administration :


Cette question la turlupinait depuis le premier mot qu'elle avait entendu de sa bouche. Ce Sam possédait  un accent, quand elle s'y penchait davantage, qui ne se manquait pas. Peut-être était-ce donc parce qu'il n'était pas d'ici qu'il avait eu tant de mal à trouver son chemin, que des notions lui manquaient ? Dans tous les cas, et Coco se fit violence pour ne pas paraitre stupide et ne pas chercher à davantage se serrer dans son sweat, sa discrétion, cette fois, fut pour le moins discutable.

Une file incommensurable les attendait à l'autre extrémité du couloir. Une file telle qu'elle donna l'envie immédiate à Coco de rebrousser chemin, d'enclencher sans attendre la marche arrière, et de revenir un peu plus tard, quand les gens auraient terminé de régler leurs petits problèmes d'inscription, de désincription, ou que sut-elle d'autre d'inintéressant. Une attente pareille en compagnie d'autrui la tuerait probablement si ce silence qui, pendant une minute ou deux s'eut installé, perdurait. Il la tuerait comme un chasseur qui assassinerait de sang froid un pauvre petit renard sans mère à la saison de la chasse. Chargement, vise, trois coups, et il est mort…

Heureusement, chargé d'une longue réflexion dont il ne lui fit visiblement part que de la conclusion, Samuel lui avoua parler tellement de langues différentes qu'il ne se rappelait plus quelle était celle de sa naissance. Un aveu qui laissa la lycéenne un brin stupéfaite, cette dernière toisant son compagnon de périple comme s'il lui était poussé sur le visage un énorme bouton rouge. En la voyant, il développa en un sourire en ajoutant qu'il parlait en tout six langues, dont deux qu'au fond d'elle la jeune fille pensait mortes, c'est-à-dire l'anglais, l'espagnol, le japonais, le français, pour enfin arriver au latin et au grec. Tout un répertoire qui incomba à Coco un silence des plus profonds, à elle qui ne bafouillait à peine que quelques mots d'anglais et d'espagnol à l'occasion, et que dire du français avec lequel cela faisait presque dix-sept ans qu'elle ne faisait rien, qu'elle taisait et dont elle n'usait que dans les tréfonds de ses pensées. Dans son ancienne école, beaucoup pensaient même qu'elle était étrangère et qu'elle ne parlait pas leur langue tant elle se révélait silencieuse; Coline, dans sa "précédente vie", n'était que ce que l'on pouvait appeler une plante, un être aphasique. A peine si elle répondait lorsqu'on l'appelait…

Durant tout temps, Coco demeura songeuse. Elle cachait son embarras et ses mots derrière la manche trop longue de son sweat, lançant au hasard du périple de son esprit un regard à Samuel qui s'amusait d'une pensée qu'elle ne pouvait percevoir.

"Tu es polyglotte, si je comprends bien… ?"

Elle secoua la tête et se reprit en posant ses deux mains sur le papier dactylographié qu'elle décida de ne plus quitter des yeux.

"Des années que ma mère voudrait que je parle anglais, et mon beau-père qui a tenté toute mon enfance de m'inculquer l'allemand… je ne sais pas comment une personne peut apprendre autant de langues en un si court terme de sa vie..."

Coco constata alors la difficulté de certains de ses termes et rougit, pour ne pas dire qu'elle se réfugia dans son col pour le cacher.

"Enfin je veux dire… ce n'est pas courant de voir des personnes parler autant de langues à… à notre âge."

L'ensemble de mots "dix-sept ans" l'avait durant un moment tenté, mais elle méconnaissait même l'âge de ce garçon; si cela se trouvait, il allait cherché dans les dix-huit, dix-neuf ans ! Elle n'en savait rien et préférait dès à présent se taire sur le sujet. Puis, sans qu'elle ne sache exactement pour quelle raison, Samuel lui fit part d'un rire qui rasait le bord de ses lèvres depuis quelques minutes déjà, cela ne lui avait pas échappé. D'abord décidée à ne pas lever les yeux, elle écouta sans rien dire, pour ensuite abdiquer face à la tentation et tourner d'une lenteur peu commune ses iris en direction du garçon à la casquette. Il semblait lui donner la permission de l'appeler par son diminutif, d'une manière très décontractée, très facile pour quelqu'un qui prétendait avoir des difficultés en français. Sam. D'accord, souffla-t-elle silencieusement en son for, alors que sans qu'elle ne s'y attende ce dernier le "prie" de ne pas s'effrayer de lui, de ne pas avoir peur de lui parler, et elle sourit, peinée.

"Je… Je me rends compte que tu n'es pas là pour me juger… mais je suis ainsi avec tout le monde. On ne m'enlèvera pas aujourd'hui cette crainte que j'ai logée au fond de mon ventre depuis mes plus jeunes années… désolée."

Etonnamment, ce fut par un sourire qu'il répondit à ses mots. Un sourire qui termina d'arquer l'arc souple des imposants océans qui lui servaient d'yeux, un sourire suivi de paroles qui finirent de la déconcerter. En quelle langue parlait-il à la fin ? Coco n'eut cependant le temps de répondre à sa question par un haussement d'épaules qu'il lui traduit la phrase en français.

Sa demande attira davantage encore le rouge sur ses joues et, malheur, son sac bloquait l'accès à la capuche qui lui aurait permis de dissimuler sa surprise. Coco commença alors à balbutier des mots incompréhensibles et ne parvint qu'au bout de quelques secondes d'effort intense à récupérer un peu de contenance. Ce n'était pas vraiment le genre de demande qu'on lui faisait habituellement, aussi bénigne soit-elle.

"Désolée c'est que… oui, j'adorerais qu'on soit amis… Sam. Je… ça me surprend juste parce que… je ne sais pas mais… d'après moi ça fait partie des choses qui ne se demandent pas… je ne sais pas..."

Et elle continuait à s'enliser, à s'enliser, à s'enliser encore… les sables mouvants la dévoraient toute crue et elle n'avait pas la force de lutter.

Son attention s'accrocha à l'enseigne de laquelle ils approchaient progressivement et pendant un court instant elle ne se souvint pour quelle raison ils se trouvaient là. Ils avançaient et Coco faillit lâcher sa feuille une ou deux fois. Elle cherchait quoi dire d'autre et se jeta sur la première question qui aurait l'occasion de la sortir de son état de mutisme complet.

"Peut-être que tu me l'as dit mais… comment as-tu fait pour apprendre autant de langues ? Ce… ce n'est presque pas humain… enfin ! Je dis ça, je n'en sais rien… Après tout on nous apprend l'anglais et l'espagnol dans toutes les écoles de France, parfois même l'allemand alors je ne sais pas pourquoi je me pose la question…"

Coco secoua la tête et remarqua qu'il lui aurait suffi de tendre le bras pour toucher le mur à côté d'elle…

D'un ton plus apaisé, elle dit :

"Tu vois… je cherche encore mes mots… c'est stupide, mais à côté de moi tu dois avoir l'impression de parler beaucoup mieux français que tu ne le pensais initialement."

Aussi étrange que cela ait pu paraitre, elle sourit à ces derniers mots. Elle sourit sans oser regarder, sinon ce fut sur le plafond qu'elle jeta son dévolu. Elle se cramponnait à la seule mimique qu'elle savait esquisser sans gêne, comme pour ne pas tomber dans son état végétatif pour lequel on la reconnaissait autrefois.