La sonnerie retentit enfin, après un cours interminable de Géographie. Je détestais plus que tout cette matière. De un, j'étais nulle et incapable de retenir quoique ce soit, et de deux, ça ne m'intéressait. Je n'en avais rien à faire que la Chine soit en surpopulation ou que Berlin soit la capitale de l'Allemagne. Selon moi, le meilleur moyen d'apprendre quelque chose d'un pays, c'était de s'y rendre et non en apprenant des chiffres ou de lire de manuels … J'aimais voyager, mais ce n'était pas mon nouvel état physique qui me permettrait d'aller bien loin.

Je soupirais longuement en rangeant mes affaires, mais mon cahier m'échappa des mains et tomba au pied de mon fauteuil et comme par hasard dans la rangée centrale là où tous les élèves passaient. Je m'attendais à ce que quelqu'un le remarque et le ramasse mais rien n'y fit. Ils passaient tous à côté de moi, ne remarquant pas le cahier à terre, marchant dessus. Ils étaient bien trop pressés, et il fallait les comprendre, c'était la dernière heure de cours, ils avaient donc hâte de sortir pour vaguer à d'autres occupations, non mais je vous jure. En attendant je me pencha pour essayer de ramasser mon cahier, évitant les pieds des élèves. Alors que j'avais enfin fini par mettre la main dessus, celle-ci se fit écraser par une grosse botte noir à la semelle étroite. Je couina alors, ramenant ma main à moi, une grimace sur mon visage. Le propriétaire de ces énormes chaussures marmonna un « excuse moi » et ramassa mon cahier, le posant sur mes genoux. Je garda la tête baissée, ne disant rien, furieuse. Imbécile !

Je laissa la salle se vider, avant de prendre mon cahier et de le ranger dans mon sac. Tout le monde était parti, ainsi que le professeur. Je n'aimais vraiment pas cet endroit et je donnerais n'importe quoi pour pouvoir en sortir. Mais pour aller où ? Je ne voulais plus revenir dans cet institut, ni dans cet hôpital. A part ici, je n'avais nulle part où aller. Je resta encore cinq minutes avant d'enfiler de enfin sortir de la salle. Les élèves dans les couloirs se faisaient de plus en plus rare et je me dirigea vers ma chambre, faisant rouler les roues de ma chaise roulante. Mais ma main gauche me faisait mal, l'autre imbécile ne m'avait pas loupé.

Une fois arrivée devant la porte de ma chambre, la main sur la clenche, je m'interrompis. Je n'avais aucune envie de rentrer dans cette chambre que je détestais autant que cet école. De plus, pour faire quoi ? Travailler ? Non, je n'en avais rien à faire de travailler, d'avoir des bonnes notes ou encore de réussir mon année. Vu l'heure qu'il était, les pensionnaires devaient tous être parti manger, et moi je n'avais pas faim et encore moins envie de me retrouver parmi toute cette population. J'aurai encore le droit à leurs regards pleins de curiosité ou de pitié. Je n'avais que faire de leur pitié, j'avais beau ne pas me tenir sur mes deux jambes, j'étais la même qu'eux. Je repris donc ma route dans les couloirs, déambulant sans but précis. Puis quelque chose attira mon attention, une grande salle avec au dessus l'inscription « Bibliothèque. ». Pourquoi pas. J'entrais donc dans cette bibliothèque, je préférais beaucoup plus la littérature que la géographie et de trouver un bon roman pourrait me faire du bien. C'était l'une des seules occupations que j'avais depuis l'accident, ça me permettait de sortir de cette vie morose et sans intérêt. Je me déplaça alors entre les rayons, dans le silence du lieu, seul le bruit du crissement léger de mes roues se faisait entendre. Regardant les différents livres qui se présentaient à moi, mon regard s'arrêta sur un livre en particulier que je pris, Roméo et Juliette. Au contact de ce livre, mes souvenir et la tristesse m'envahirent. Avec Arthur, nous adorions tous les deux ce chef d'oeuvre, pour nous c'était la plus belle des histoires d'amour. Nous l'avions lu ensemble maintes et maintes fois, nous étions même allé voir une pièce de théâtre.

Je serrais la pièce de théâtre contre mon cœur quand j'entendis la voix d'un homme qui semblait parler tout seul. Arrachée de mes pensées et prise par la curiosité, je me dirigea vers la voix en question. Je reconnus tout de suite le professeur de littérature, j'avais déjà assisté à un de ses cours. Étrange personnage, il suffisait de voir comment il se tenait, les pieds sur la table et tentant de manger son repas, n'ayant pas vraiment l'air à l'aise avec ses baguettes. Mais rapidement mes yeux se posèrent sur la vitre, la pluie commençant à marteler la vitre. Machinalement, je m'avança vers la vitre, le livre toujours posé sur mes genoux. J'observais la pluie tomber, ne prêtant pas vraiment attention au professeur qui n'était plus très loin de moi.

La pluie s'abattait de plus en plus violemment sur les vitres de la bibliothèque. Dehors, on pouvait voir les gens se presser, s'abritant sous un parapluie, une capuche ou rien qu'un magazine, un journal ou encore un cartable. La pluie … un rideau naturel. Je vis non loin de là, un couple, alors que tout le monde autour d'eux se pressaient, eux deux étaient serrés l'un contre l'autre, profitant sans doute de l'intimité procurée par la pluie. Ils étaient bien, ils étaient deux, et moi j'étais seule. Dans un soupire je jeta un œil discret vers le professeur de littérature qui semblait retrouver ses bonnes manières en se rasseyant normalement, enlevant ses pieds de la table. C'était une personne que je n'avais pas vraiment encore eu l'occasion de cerner entièrement. Lorsque j'étais arrivée à son cours, et qu'il avait fini de lire le mot provenant du directeur il s'était contenté de rigoler. A vrai dire, je n'avais pas vraiment compris pourquoi il avait réagi de la sorte, mais je ne m'étais pas attardé là dessus. Je préférais même ça plutôt qu'un faux sourire hypocrite.

Il rapprocha un bol de soupe de moi, je n'avais effectivement pas mangé. Pour être franche, je ne mangeais pas vraiment en ce moment et ce, depuis l'accident, et oui, encore ça. J'avais perdu beaucoup de poids depuis, ce qui ne jouait pas en la faveur de ma santé, que ce soit physique ou mentale. Je regardais le bol sans dire un mot, je pouvais sentir l'odeur du repas parvenir jusqu'à mes narines. C'était une bonne odeur, mais pouvais-je vraiment ?

C'est quand il se pencha par dessus mon épaule que je détourna le regard du petit bol. Il n'était pas professeur de littérature pour rien. Je le voyais dans le reflet de la vitre, déclamant une des tirades les plus célèbres de l’œuvre. Il avait dit cette réplique avec une telle aisance, la même que j'avais pu avoir autrefois, lorsque je me plaisais à réciter l’œuvre à haute voix, pour le plus grand plaisir d'Arthur. Ce qu'il dit ensuite attira ma curiosité, « Le chagrin, à certaine dose, prouve beaucoup d'affection; mais à trop forte dose, il prouve toujours quelque faiblesse d'esprit ». Certes, cette citation me disait effectivement quelque chose, mais ce n'était pas une des phrases qui m'avait le plus marqué. Je réfléchis quelques instants dessus, me la répétant plusieurs fois, intérieurement. Avait-il dit ça en quelque sorte pour que je me sente concernée ? Forcément, je ne pouvais que me sentir concernée, et j'en avais conscience, que j'étais quelqu'un de faible, peut être trop. Si à ce moment, et même depuis le début je m'étais montré plus forte, je n'aurais sans doute jamais sombré dans ce silence et j'aurais peut être même retrouvé l'usage de mes jambes. J'étais faible et je m'en mordais les doigts.

Il s'était maintenant posé à côté de moi et pendant qu'il me parlait mon regard se posa sur lui. Il était étonné que quelqu'un comme moi puisse aimer ce genre de littérature. Mais, quelqu'un comme moi ? Dans le fond qu'est ce que ça pouvait bien vouloir dire. Il ne me connaissait pas, il ne me jugeais qu'à travers le masque que j'affichais depuis ces six derniers mois. Il ne se doutait sans doute pas que je n'avais pas tout le temps était ainsi. Mais il est vrai que les gens doivent me voir comme quelqu'un de froid, une désespérée … Il avait raison, dans le fond, ce qu'il disait depuis tout à l'heure était vrai. Je serrais le livre contre moi, ne me détachant pas de son regard. Le soucis c'était que je n'avais pas la solution, je ne savais plus comment faire tomber ce masque. Depuis que j'étais arrivée dans cet établissement, j'avais fait quelques efforts, aussi minimes soient ils. Mais la route était encore longue. Plus je repensais à ce qu'il m'avait dit et plus je me sentais perdue.

Je baissa les yeux vers l'ouvrage, que je me mis à le feuilleter rapidement, un passage m'était revenu en tête, quelque chose qui m'avait marqué. Je ne mis pas longtemps à le retrouver et lu le passage d'abord dans ma tête. Puis d'une voix faible, presque un murmure je dis, toujours penchée sur mon livre.

« Allons sagement et doucement : trébuche qui court vite. »

J'avais dit cela en parti pour moi, ne sachant pas si il allait comprendre pourquoi je disais ça. Après tout, peut m'importait, je me comprenais, et savait au fond de moi que je pourrais un jour sortir de ces ténèbres. Après avoir reposé mes yeux sur lui, un semblant de sourire timide et gêné sur mes lèvres, je fis avancer ma chaise roulante jusqu'à la table où se trouvait la soupe qu'il avait avancé pour moi. Je laissa enfin se dégager tous les arômes de la soupe dans l'air, avant d'y plonger la cuillère en plastique et de la ramener à ma bouche.

La soupe était fumante et dégageait un doux arôme. Ce petit bol qui m'avait été offerte par ce professeur qui se tenait à mes côtés avait le don de me réchauffer le cœur. Mon père qui était un fin gourmet qui appréciait la bonne nourriture avait l'habitude de me dire que lorsqu'on a pas le moral, il faut manger. Je ne le croyais pas vraiment, car je ne voyais pas en quoi ça pourrait aider, mais ce soir je compris. De plus, elle était issue d'un geste bienveillant. Ce professeur à qui je n'avais rien demandé me l'avait proposé automatiquement. C'était peut être rien qu'un bol de soupe issu d'un restaurant chinois, mais j'appréciais le geste.

J'avalais cette soupe sans un mot, bercée par le bruit de la pluie qui s'abattait toujours autant contre les vitres. J'aimais l'ambiance qui se dégageait des bibliothèques. Un calme persistant y régnait en permanence. Le silence laissait libre court aux esprits de s'exprimer. J'aimais passer du temps dans ce genre d'endroit. Lorsque vous êtes dans un lieu quelconque en présence d'autres personnes, les gens se sentent obligé de combler le silence. Alors qu'au contraire, dans une bibliothèque, le silence est d'or.

D'accord, le jeune professeur était venu me parler, mais à vrai dire ça ne me dérangeait pas trop. Je sentais quelque chose de particulier émaner de lui. Il ne parlait pas juste pour combler un certain vide, ou juste pour la forme. Ces paroles avaient un vrai fond qui m'avaient touché et poussé à réfléchir. Malgré son air prétentieux et un peu trop sûr de lui, il ne parlait pas pour rien dire et ça se voyait qu'il en avait dans la tête. Finalement, la soirée ne se terminerait sans doute pas aussi mal qu'elle n'avait commencé.

Un peu plus tôt il avait fait une remarque, mais je n'y avais pas vraiment fait attention, étant occupée à goûter la soupe. Mais il avait aperçu mon sourire, à vrai dire c'était un sourire un peu discret qui démontrait un peu de ma gêne. J'appréciais toutefois le compliment. Grâce à différentes rencontres que j'avais fait depuis mon arrivée, je me sentais un peu mieux car j'avais pu tomber sur des gens qui étaient naturels avec moi, qui ne me prenaient pas en pitié, m'appréciant à ma juste valeur. Depuis ces fameuses rencontres je m'étais dit que je devais m'efforcer à continuer sur cette voix. Je commençais à entrevoir le bout du tunnel. La rencontre que j'avais fait ce soir là était une nouvelle fois l'occasion de faire des efforts.

De plus il semblait ouvert à la conversation vu qu'il continuait à parler. Il me proposa les rouleaux de printemps que je refusa poliment en secouant la tête. La soupe me convenait parfaitement, n'ayant pas grand appétit, ça serait amplement suffisant. Il se mit ensuite à me parler de ce restaurant dont la nourriture provenait. Quand il eut finit je ne pus m'empêcher de rire. Ce n'était pas non plus un grand rire mais ça restait un petit rire discret. On ne cessait le progrès, voilà que je me mettais à rire. Cette école avait effectivement une drôle d'influence sur moi. Moi qui en arrivant ici ne faisait apparaître aucune émotion sur mon visage, voilà que je me mettais à sourire, à rire et à parler. Je n'aurais pas du juger trop hâtivement la décision du psychologue de m'envoyer ici. Je me sentais mieux de jour en jour.

Je posa la cuillère sur le rebord du bol et regarda le professeur, toujours un léger sourire aux lèvres.

« C'est bon. Mais j... je préfère le japonais »

J'avais encore un peu de mal à m'exprimer et ne pouvais donc pas formuler de longues phrase. Malgré le fait que je recommençais à parler petit à petit, je n'imaginais pas que ce serait aussi dure.
Je regarda le livre toujours posé sur mes genoux, puis à nouveau le professeur.

« Que … faites vous ici ? »

De Japonais, il ne semblait connaître que les nouilles instantanées, ces aliments déshydratés que vous trouvez dans n'importe quel supermarché. Mais bon, ce n'étais pas plus japonais que chinois, enfin c'est ce que je pensais. Dans tous les cas, ça ne valait pas un bon restaurant japonais, avec ses sushis, ses makis, ses marinades … Enfin, sa remarque et son attitude me fit doucement sourire, c'est sûr qu'il ne fallait pas rester là dessus.

Je lui avais ensuite demandé ce qu'il faisait ici, c'était peut être un peu indiscret de demander ça, surtout à un professeur. Si ça avait été le cas il me l'aurait sans doute dit mais au contraire il me répondit sans hésitation, ça ne semblait pas le déranger. J'avais eu envie de relancer la discussion, pour pas qu'il ne soit le seul à parler et puis je ne pouvais pas profiter de son repas sans parler, même si c'était un peu difficile pour moi.

Il était donc venu pour préparer ses cours du lendemain. Je ne savais pas du tout comment un professeur avait l'habitude de faire cela et à vrai dire je m'en moquais pas mal. Il m'expliquait rapidement ses habitudes d'enseignement, ne préférant pas se fier au programme fixé, et je le rejoignais un peu sur ce point là. C'était plus agréable de faire quelque chose de différent, c'était moins ennuyeux. Il était assez bavard, et je dois dire que c'était plutôt agréable, je n'avais pas donc pas vraiment trop d'efforts à faire pour parler.

En fait peut être le dérangeais-je, il était venu pour travailler et moi je m'étais un peu imposée. Enfin, je pense que si ça l'avait vraiment dérangeais il me l'aurait dit et ne continuerais pas à me faire la conversation. Et puis je ne comptais pas vraiment m'attarder ici, enfin je ne savais pas trop. Je n'avais pas sommeil et aimait vraiment cet endroit.

Il ne semblait toutefois pas vraiment motivé à faire ce pourquoi il était venu en ces lieux. Et voyant mon livre, ça lui avait donné l'idée. Un cours sur Shakespeare, je dois dire que c'était une idée qui me réjouissait, j'aimais vraiment cet auteur, et il y avait tant de choses à dire sur le sujet. Je pensais même qu'un seul court sur le sujet n'était pas suffisant.

« Avec Shakespeare vous ne tomberez jamais à court à d'inspiration. »

J'avais dis cela sincèrement dans un maigre sourire, je le pensais vraiment. Je posais mes yeux sur le charmant professeur quand il me demanda ce que je faisais ici. C'était une bonne question car moi même je ne connaissais pas la réponse. C'était l'envie de solitude et d'évasion qui m'avait poussé là par automatisme. C'est un peu comme si c'était un lieu à part, surtout quand il fait nuit, un lieu rempli de mystère, comme si il suffisait d'ouvrir un livre pour être envahi par un autre univers.

« L'évasion, sans doute ... Ne trouvez vous pas ce lieu apaisant ? »

J'étais sûr qu'il me comprendrait, étant professeur de littérature il devait ressentir la même chose que moi en ouvrant un livre. Je déposais l'ouvrage que j'avais sur les genoux sur la table et le fit glisser jusqu'au professeur.

« Pour votre cours. » Finis-je par dire, chuchotant presque, j'avais un peu trop forcé sur ma voix qui commençait à fatiguer sérieusement, mais ce n'était qu'en forçant que j'arrivais à retrouver l'entière usage de ma voix.

" 'Tu as tout à fait raison, c'est en gros pourquoi j'aime bien cet endroit moi aussi . Je me libère si facilement de notre monde pour y voir les images que les mots projettent dans mon esprit et cette tranquillité qui apaise mon esprit y est pour quelque chose ."