Il y avait un garçon du nom de Clarke Richard dans sa classe. Un garçon aussi étrange qu'il n'était silencieux, et Coco avait rapidement fait de le remarquer, au fond du local. Pour cause, il semblait vouloir s'arracher les cheveux un par un, il semblait anxieux, torturé en son for, et ce pour une raison qu'il ne montrait pas; il la gardait confinée en fond de lui, comme elle préservait ses craintes et ses doutes au fond d'elle. Pour ne pas subir, pour se préserver. Peut-être. Aucune réponse.
Au bout de quelques minutes, il avait demandé à sortir pour se rendre aux toilettes de l'étage. Un accent dans sa voix, comme il en était le cas de Sam, il ne devait pas couramment parler français. Le professeur eut accepté sans même s'en inquiéter, l'adolescente ne sut trop pourquoi. Richard sortit alors, et ne revint pas… Soit s'était-il donc perdu dans le dédale de couloirs, soit s'était-il égaré dans ces ombres qui paraissaient l'engloutir avant que la porte derrière lui ne claque…
Sur cette fameuse porte, longtemps après son départ les grands yeux effarouchés de la brune étaient demeurés figés. Elle se demandait s'il reviendrait, quand et pourquoi. Pourquoi était-il parti ainsi, pourquoi lui semblait-il si profondément enfoui en son âme et ne semblait-il pas savoir en sortir ? Le pauvre garçon, et pauvre d'elle de ce fait, car elle n'eut jusque-là jamais ressenti d'empathie ; il lui paraissait connaitre son malheur, et ce sans le connaitre lui.
A la sonnerie, Coco fut la dernière à sortir. Plongée dans ses pensées, elle ne remarqua pas même l'agitation de ceux qui s'empressaient autour d'elle de remplir leurs sac, de fermer leurs plumiers et de courir au seuil de cette porte qu'elle vit s'ouvrir en grand, au moment où enfin sa conscience daigna la réveiller. Alors une énorme dose d'adrénaline l'anima et ses mains poussèrent tout ce qui reposait sur le banc dans son sac. Quel bazar, tout de même ! Et manquant d'entrainer la chaise dans son départ, elle jeta un coup d'œil à la salle presque vide. Le professeur la surveillait de loin.
Ainsi, les cours achevés pour la journée, le pas léger et la conscience collée au plafond, l'adolescente suivit une route qui n'était pas la sienne, pour atterrir dans un couloir qui n'était le sien. Elle s'était vraisemblablement trompé de chemin, mais ceci n'en était pas moins que la dixième fois en plus de quatre jours, elle ne s'en formalisa donc pas; prenant le chemin inverse, Coco prêta cette fois attention aux numéros des locales. Elle entama de ce fait une nouvelle route, un couloir complètement vide.
Etrangement les courses prenaient deux fois moins de temps quand il s'agissait de regagner ses loisirs…
Casier retrouvé, à côté de celui dont la porte était toujours à réparer, Coco rangea ses petites affaires, vida le contenant le plus possible, songeant d'avance qu'elle aurait besoin de son énorme bouquin de mathématique pour terminer un devoir qu'elle s'ennuyait déjà de terminer. Rangement effectué, organisation plus ou moins conclue, elle claqua la porte de sa case, veilla à ce que celle de son voisin reste en place et s'apprêta à regagner son petit bonhomme de chemin, quand une présence l'interpela. De l'autre côté. Elle pivota.
Quelques mètres, quelques pas plus loin, une ombre sous l'escalier, elle le sentait, et comme pour le certifier, Coco s'en approcha. Tête penchée, à mesure que la distance se restreignait, elle tentait de distinguer l'individu dissimulé, et qu'elle ne fut point sa surprise de reconnaitre la chevelure or s'y comparer. Celle de Clarke Richard, le garçon aux démons. Un garçon recroquevillé sur lui-même mais qui, à son arrivée, daigna lui consacrer un bref regard.
Etonnement au sein de ses propres prunelles. Coco porta une main à sa gorge, là où une boule commençait à se former. Que dire ?
"Richard, c'est ça… ? Ça… va ?"
Coco n'avait pas pour habitude d'aborder des personnes qu'elle ne connaissait pas, des inconnus ou même des connaissances. La seule personne, en réalité, qu'elle osait appeler sans s'en sentir gênée était Annie, et encore… Alors engager une conversation avec ce garçon qu'elle ne croisait que rarement à certains cours, s'avérait une tâche insurmontable. Elle s'en serait volontiers passé, malheureusement un sentiment de culpabilité la travaillait. Il fallait à tout prix qu'elle soulage sa conscience.
Doucement, comme pour ne pas l'effrayer, elle s'accroupit, les bras sur les genoux. Elle affichait un air compatissant sans pour autant l'avouer.
"Tu n'as pas l'air bien. Mais… tu parles français, un peu ?"
Coco venait de se rappeler l'accent, ces petits mots tordus dans sa voix quand il s'était adressé au professeur. Parfois imperceptibles, mais pour elle cela sonnait comme une évidence, à force d'écouter, sans essayer d'interrompre. L'exercice d'une vie.
Elle porta sa main au bord de ses lèvres, tic nerveux, en déviant le regard. Que dire, encore ?