Voilà un week-end de trois jours ! Mon professeur d'histoire étant absent, on nous permet de ne pas venir en cours. Ainsi, je quitte mon dortoir avec rien qu'un sac à dos où sont rangées le peu d'affaire dont j'ai besoin. Je pars. Oui, je m'en vais pour trois jours. J'attends que le ciel se fasse noir, et j'appelle un taxi. Je lui demande de m'emmener à la gare de l'Est. Là, je prends le train pour Reims. Arrivé, je m'embarque dans le TGV pour Nantes. Une fois sur la côté, je prends l'avion pour Lille. De là, l'autocar jusqu'à Calais, qui me mène enfin sur les terres anglaises. J'espère qu'avec ce stratagème, personne ne saura où je suis.

Certes, j’atteins les rues de Londres le samedi vers midi, alors que mon départ se déroula la nuit du jeudi précédent. Tant pis, c'est au moins ce qu'il faut pour être tranquille. J'espère que ce séjour sera propice à la détente et qu'enfin je pourrais profiter de ma vie sans les avoir sur le dos.

Ainsi, je fonce droit dans un parc. Les oiseaux, la nature, l'herbe fraîche, tout ça c'est mon univers. Profiter de ce que j'aime sans ma montre au tic tac infernal, sans des regards derrière moi en permanence et sans la pression d'être surveillé. Le rêve. Cela faisait si longtemps !

Je m'apprête à m'étendre sur la verdure, les yeux tournés vers le ciel, pendant que les insectes escaladent mes membres, quand soudain, je l'aperçois. Une demoiselle aux cheveux violets, qui ressemble tant à une fille de mon établissement.

CE N'EST PAS POSSIBLE.
Comment ont-ils pu savoir que je serais là ? C'est pire qu'un coup monté ! Je n'en crois pas mes yeux. La panique s'empare de moi comme les nuages s'emparent du ciel en plein orage. Là, c'est moi qui vais devenir tempête si l'on ne m'arrête pas.

La traversée de l'océan m'a donné un esprit nouveau, peut-être changé. Je respire deux fois, très lentement, pour me calmer. J'enfourne mon sac sur mon dos et, les jambes légèrement tremblantes, je m'avance vers cette fille. Je la regarde méchamment et je lui lance, comme ça, d'une voix qui se veut claire et vilaine.

« Pas un geste. J'ai compris. »

Avant d'aller plus loin, je m'assure que c'est bien elle. Je ne l'ai pas vue beaucoup dans les couloirs, mais ma mémoire surentraînée la reconnaît.

« Qu'est-c'tu fous là ? T'es venue m'espionner c'est ça ? Pas moyen d'être en paix ici ! »

Je fais tomber mon sac, et jette des regards inquiets aux alentours. Et si on m'avait entendu ? Et si elle allait raconter à ses maîtres que je m'étais rebellé ?
Je suis soudain pris d'une peur que je n'avais encore jamais connue. Une pensée nouvelle s'offre à moi. Si je ne pouvais pas les empêcher de me suivre, je les empêcherais de vivre.

Et l'idée de me débarrasser du corps dans la Tamise me vient à l'esprit.

Là voilà qui nie en bloc.
Jôre j'vais la croire. On m'en a déjà donné des meilleurs, d'arguments ! J'en ai croisé des plus intelligents, d'espions. Et des plus discrets. Celle-là, n'a pas l'air très maligne. Je la regarde attentivement et je vois son air enfantin traverser longuement son visage. Dis donc, ils embauchent de plus en plus jeune, sous la coupe du diable. Je n'ai même pas à faire attention ; sa jeunesse me donne un avantage qu'ils n'ont pas soupçonné. Je vais vaincre.

L'apprenti espionne s'en va en râlant, me rejetant la faute. Je ne gobe pas ses idioties, je surpasse tout ça. Cette fois, ici, à Londres, je deviens dieu. Je les domine par mon savoir et j'anticipe leurs efforts. Je tuerai ceux qui se mettent sur mon chemin, pour leur montrer que je n'ai plus peur d'eux. L'adrénaline parcourt mon corps et se déplace dans mes capillaires sanguins comme un saumon dans une rivière. Je suis quelqu'un d'autre, je subis ce renouveau grâce à ce changement de décor. Je n'ose penser à ce que je serais devenu quand je rentrerai à Paris.

Pour le moment, des sensations nouvelles me submergent. Mes pieds n'écoutent plus ma tête, qui a oublié de penser. Ils avancent, ils suivent cette jeune fille sans que je ne puisse les en empêcher. Ils sont obstinés et ne dévient pas : leur course effrénée me fait arriver devant une file de taxis. Là, tel le héros d'un mauvais film, je tends un bras et hurle « Taxi ! » alors que tous sont à l'arrêt. Je montre en trombe dans l'un d'eux, et, poussé par le fantasme cinématographique, je prends un malin plaisir à lancer d'un air déterminé :

« Taxi, suivez cette voiture, vite ! »

Il démarre en trombe. Ou ce qui aurait pu être une trombe, si la rue n'était pas bloquée de tous côtés par les véhiculés pris dans le trafic. C'est l'heure à laquelle les londoniens rentrent chez eux et je ne suis pas prêt de rattraper ma proie. Alors, après une dizaine de minutes à avancer à quelques kilomètres par heure, avoir parcouru une petite cinquantaine de mètres, je sors de l'automobile jaune et cours vers mon espion. Mes jambes me portent plus vite que ce chauffeur, que j'entends hurler de me payer quatre livres, le poing levé et la fenêtre baissée. Comme dans les plus grandes scènes d'action, je regarde à toutes les fenêtres des taxis, sous le rythme endiablé des klaxons.

Enfin, je la vois.
J'ouvre la portière de son taxi, et m'engouffre à l'intérieur. Je m'assois donc aux côtés de la demoiselle, le front en sueur de ma course à pieds. Le conducteur ne semble pas comprendre, mais je ne lui lance pas un regard de plus. Le bleu de mes yeux est rivé vers la fillette, que j'ai prise pour victime. Je n'ai pas encore eu le temps de penser, donc je ne comprends pas encore comme je la tuerais, mais j'y compte.

« Quel comble ! L'espion espionné ! Je te suivrais partout où tu iras, et tu comprendras ce que c'est que d'être traqué. Tu subiras mes peines et mes douleurs. Tu payeras au nom de ton groupe. »

Je suis acharné.