Première journée dans un tout nouvel établissement. Bien que j'aille coutume de m'habituer de manière plutôt précoce aux changements, l'emménagement dans cette ville ne me plaisait pas et je n'arrivais pas à m'y faire. Peut-être était-ce normal après tout, car changer d'environnement à l'âge de 17 ans alors que l'on est habitué à un autre petit monde peut s'avérer être complexe. Mais je n'allais pas laisser cette courte période de changements faire de moi une autre personne; je n'ai jamais été une personne influençable et ce n'est certainement pas aujourd'hui que ça commencera.

La pause déjeuner venait d'arriver et je m'étais empressé d'aller me réfugier dans un coin tranquille du lycée. Quelque part où je ne serais probablement pas dérangé, où je pourrais lire en paix. Alors que je longeais les longs couloirs, plusieurs regards se tournèrent en ma direction. Je les comprenais; voir une personne vêtue d'habillement de l'époque victorienne n'était pas commun. Les gens de mon ancienne ville, du moins ceux qui étaient à mon école étaient plus habitués alors je n'étais plus une surprise pour eux. Sauf qu'ici...

Je soupira en gardant la tête haute. Qu'ils pensent ce qu'ils veulent; je m'en fichais.

J'arrivai finalement à bon port, soit la cage d'escalier. C'était calme, personne ne semblait venir ici. Je m'adossai contre l'un des murs et m'assit à même le sol. Je tenais entre mes mains l'un des nombreux romans en ma possession; or, celui-ci ne datait pas de plusieurs décennies. Il était même plutôt récent mais le sujet qu'il abordait m'intéressait fortement. Un mélange de psychologie, d'horreur et de scènes parfois très morbides. J'aimais tout autant les livres de fantaisies que ceux plutôt gores. Je soupirai une seconde fois, d'aise cette fois-ci en me plongeant dans la lecture.

Les mots défilaient devant mes yeux, et chaque scènes, aussi futiles pour le roman soient-elles, se jouaient sans difficulté dans ma tête. Les mots étaient d'une ténacité de fer, ils étaient si justes et bien choisis que s'imaginer ce qui se passe au travers de cette liasse de feuilles n'était pas une corvée. Il allait sans dire que ce livre me plongeait tout entier dans son univers et au travers de la psychologie des personnages. Tout était si bien détaillé que j'arrivais à comprendre presque parfaitement ce que les protagonistes ressentaient sans l'avoir moi-même vécu. Que ce soit la douleur d'un lourd sentiment ou d'une angoisse mystifiée, passant de l'émotion la plus joyeuse à la plus sordide, n'importe qui aurait été en mesure de se l'imaginer.

J'aurais cru que rien ni personne n'aurait su me détacher de cet univers de papier que je tenais entre les mains, or je m'étais trompé à ce sujet. Alors que je tournais l'une des pages afin d'en savourer une autre, une fille fit son entrée dans la cage d'escalier. Elle possédait des cheveux teintés de rose, couleur qu'on ne retrouvait pas souvent à cet endroit mais qui, étrangement, lui allait très bien. Mais qui étais-je pour parler, car après tout, j'étais celui vêtu d'habits de l'époque qui se font encore plus rares. Elle tenait entre ses mains un livre, que je reconnu rapidement par sa couverture; le même que le mien. J'avais, ainsi donc, affaire à une connaisseuse en matière de littérature.

- Salut ! Tu t’appelle comment ? J’adore tes habits haha !

Je souris à la jeune fille de manière amicale, avant de me lever et d'épousseter mes vêtements. Je ne pouvais tout bonnement pas rejeter une conversation qui commençait si bien, et son compliment, je devais l'avouer, me faisait plutôt plaisir. Beaucoup de gens ne m'auraient même pas adressé la parole à cause de mon accoutrement.

- Merci, et moi j'aime beaucoup le livre que tu tiens entre les mains! Je m'appelle Gabriel. Et toi, tu t'appelles comment?

Je regardai brièvement autour de nous, quelques instants, et mes yeux se reportèrent sur le roman que je tenais encore dans mes mains. Mes doigts glissèrent sur la couverture et je relevai les yeux vers la jeune fille devant moi, avant de poursuivre;

- Tu étais venue ici pour lire? J'espère que je ne te dérange pas! Il faut dire que c'est l'un des seuls endroits du lycée qui est tranquille, ici.

Maintenant face à face, la jeune femme me sourit après que je lui ai parlé, ou plutôt répondu à sa précédente question. Elle m'intriguait, j'avais l'impression qu'elle était quelque peu... Spéciale en son genre, et si en plus elle appréciait la littérature, alors il ne me serait pas difficile de me lier d'amitié avec elle. Au final, ce lycée me plaisait bien car il semblait comporter plusieurs types de gens, tous autant différents les un des autres.

- Oui, j'étais venue pour lire ! Je m'appelle Yuno, et je trouve sue Gabriel te va si bien ! Je ne savais pas que c'était un des seuls endroits, car vois-tu, je suis nouvelle ici !

Son rire retentit dans la pièce et je lui souris de nouveau. Elle était probablement d'origine japonaise, voyant son prénom. Elle ne semblait pourtant pas asiatique, avec ses grands yeux et ses cheveux colorés.
Mais c'était bien de savoir qu'elle était, elle aussi, nouvelle dans l'établissement. Peut-être que Suki Gakuen accueillait souvent de nouveaux arrivants? Si tel était le cas, alors je me sentais soulagé et beaucoup moins seul. Il était toujours très rassurant d'apprendre que nous ne sommes pas seuls dans une situation parfois complexe ou angoissante.

- Enchanté, Yuno! Merci beaucoup, ton prénom te va très bien aussi.

Je ria légèrement, prenant une courte pause et je poursuivis:

- Moi aussi je suis nouveau ici, et je me suis dépêché de repérer les endroits les plus calmes pour lire, étant donné que c'est mon passe-temps favoris... Je ne fais presque que ça de mes journées, en fait!

Seulement, j'espérais ne pas trop l'importuner en étant ici aussi, surtout que je poursuivais la conversation et qu'elle était venue ici dans l'espoir de lire en paix, très probablement.