En cette magnifique journée... En cette journée là d'été... Alors que le soleil se reflétait merveilleusement sur l'océan s'étendant sous nos yeux à mon père et à moi.
« Vas-y Juri, tu peux souffler tes bougies ! » avait-il crié avec ce faux entrain qu'il mimait si bien depuis la mort de ma mère.
Je le regardai pour seule réponse, obstinée dans un mutisme presque agaçant avant de finalement poser mon attention sur les seize bâtonnets de cire au bout desquels dansaient d'élégantes flammes orangées. Nous étions aujourd'hui le 23 Juillet. Date que mon père avait désignée comme étant le nouveau jour de mon anniversaire, puisque ce malheureux 18 Avril lui rappelait également la mort de ma chère et tendre mère, décédée des suites de l'accouchement. Je ne la connaissais qu'à travers les photos, et plus je la voyais plus cette ressemblance entre elle et moi me troublait. Le même visage, les mêmes cheveux. Sauf qu'elle souriait sans cesse, son regard aspirait à la douceur. Le mien n'était porteur que du gouffre d'impassibilité qui fondait mon esprit. J'avais hérité de son deuxième nom « Juri », bien qu'elle eût voulu que je porte le prénom de « Setsuna » selon mon père. Juri Tsuji. C'était assez laid à prononcer. Même mon frère aîné, Sora, m'appelait par ce nom que ma mère avait désiré m'octroyer, même si de sa voix cela sonnait plutôt comme un reproche. Mon géniteur était le seul qui voyait en moi sa regrettée femme, et ces regards amers qu'il ne cessait de porter sur mon visage me donnaient bien souvent envie de m'enfuir, loin, très loin.


« Pourquoi t'efforces-tu à être si enthousiaste ? » avais-je fini par marmonner d'une voix aussi éteinte que d'ordinaire.
« Parce que toi tu ne l'es jamais. »
« Hah so. Arrête ça. »
Et là-dessus, j'avais reposé mon assiette encore vide et j'avais retiré mes chaussures, relevant ma robe pour aller tremper mes pieds dans l'eau et observer l'horizon. Là, je me mis à ressasser à peu près tous les moments marquants de ma vie depuis le début de mon adolescence. Le néant. Rien ni personne n'avait su attirer mon attention. Alors qu'à cet âge les filles de ma classe rêvassaient et sortaient avec des garçons, faisaient les boutiques pour chercher à se rendre belle pour plaire à la gente masculine, je passai mes journées au lycée pour rentrer chez moi juste après et m'attarder de longues heures sur notre piano. Le monde était mort. Morne. Rien ne me plaisait ou m'attirait. C'était comme si j'étais moi-même en train de m'éteindre de l'intérieur. Mes yeux ne s'illuminaient plus d'un intérêt quelconque, mes lèvres ne souriaient plus, à vrai dire je n'en avais pas de réelle raisons, je suppose.


« Tu comptes réellement partir ? »
« Mh. »
« Tu es sûre de toi ? »
Mes yeux vinrent instantanément trouver ceux de mon père.
« Jaa ne, papa. »
Sur ces mots, j'avais quitté la maison, valises en mains, passeport dans un sac que j'avais récupéré dans les affaires de ma mère, et je m'étais installée dans le taxi qui m'attendait patiemment pour m'emmener jusqu'à l'aéroport. Une fois mes affaires chargées dans le coffre, le conducteur s'installa au volant et mît le contact, alors que je voyais petit à petit mon passé s'effriter à travers la fenêtre de la voiture qui commença à se mettre en marche.
« Setsuna ! »
Mes paupières s'écarquillèrent et doucement mon attention se posa sur mon géniteur, courant à côté du taxi en tapant sur la vitre comme un acharné avant que je ne daigne l'ouvrir tandis que le taximan arrêtait le moteur.
« Prends soin de toi... »
Et là-dessus, il prît ma main pour y déposer une frêle chaîne en argent que j'avais bien souvent vue sur certaines photos, tout comme ce vieux pendentif représentant une lyre et accessoirement cette passion indéfinissable que ma mère vouait à la musique. Alors mes yeux s'étaient remplis de larmes et j'avais marmonné un bref « Sayonnara » avant de demander au chauffeur de se remettre en route.
Ravalant mes pleurs, je glissai finalement mes yeux sur mon passeport et mon billet à destination de ce pays merveilleux qu'était la France.


Juri resterait au Japon, éternellement. À vrai dire, elle était morte à l'instant même où j'avais quitté cette maison.