~Should I Stay or Should I Go~

Il faisait nuit, déjà, et le fond de l'air était un peu frais. Natasha, pourtant, portait une de ses habituelles robes sombres, qui laissait paraître ses jambes et ses épaules nues. Le climat de la Russie l'avait habituée à des soirées bien plus rudes. Ses couettes blanches voletaient sous l'effet de la brise, et ses pas résonnaient dans les rues fréquentées du centre ville. Elle tenait serrée contre elle un petit paquet rectangulaire. Elle avait dégoté un petit magasin d'occasion, qui vendait pour quelques pièces seulement des chefs d'oeuvre cinématographiques, et elle y avait laissé couler une petite partie de ses économies. Mal à l'aise parmi la foule de jeunes gens prêts à faire la fête, elle se mit à marcher plus vite, inquiète de trouver les grilles du pensionnat fermées à son retour. Essoufflée, elle s'arrêta un instant pour aviser des alentours. Ce qu'elle craignait était désormais effectif. Elle s'était perdue. Inspirant à plein poumons, elle fit le vide dans son esprit, et tenta de se remémorer toutes les rues et ruelles qu'elle avait empruntées pour en arriver là. Elle s'en souvenait, très bien, mais ça ne lui rappelait malheureusement pas le chemin qu'il fallait emprunter pour rejoindre Suki Gakuen. Alors elle injuria Dieu en russe, et observa les commerces éteints autour d'elle. Au loin, des néons clignotaient et indiquaient donc sans doute un lieu hospitalier et ouvert, regorgeant de personnes sympathiques qui lui fourniraient des indications sur la direction à prendre. En tout les cas, elle tentait de s'en persuader, très fort.

Mademoiselle Adler se laissa donc idée par la lumière que dégageait l'enseigne du bar. Plus elle se rapprochait, et plus elle commençait à douter de son hypothèse innocente. A quelques mètres de l'entrée, elle sentait résonner dans sa poitrine la musique jouée à l'intérieur de l'établissement. Hésitante, elle finit tout de même par passer la porte. Aussitôt, des relents d'alcool et de sueurs lui assaillirent les narines, et du se retenir de se boucher le nez. On disait souvent que les russes et la vodka ne faisait qu'un, mais Natasha ne supportait pas bien l'alcool, et n'en buvait donc que très rarement, si ce n'est jamais. Cet endroit était atroce. La jeune femme se hâta vers le comptoir, bousculant maladroitement les ivrognes qui y étaient accoudés. Elle se fit difficilement une place, et héla le barman.
«Bonjour. Enfin bonsoir. Euh... Est-ce que vous pourriez m'indiquer le chemin le plus court pour rejoindre le pensionnat Suki Gakuen ? S'il vous plaît ?»
La garçon lui adressa un sourire, mais elle n'était pas tout à fait certaine qu'il l'ai entendu. Son regard s'illumina d'espoir quand il hocha la tête. Malheureusement, il lui cria pour couvrir le battement des basses :
«Un mojito ? Tout de suite mamzelle !»
Natasha soupira, et tenta de le rappeler, mais il était déjà loin, en train de préparer le mojito qu'elle n'avait pas commandé. Elle commençait vraiment à paniquer, cet endroit semblait être à la fois son salut et son pire cauchemar. Elle se retourna pour faire face à la salle, et posa son regard sur chacune des personnes présentes, à la recherche d'un visage pas trop antipathique. Une jeune fille un peu bourrée, ça pourrait faire l'affaire, non ? Elle se dirigea vers la dite jeune fille, la tête baissée pour ne pas croiser le regard d'un quelconque pervers égaré en ces lieux.

Malheureusement, son regard perdu sur le plancher, elle ne vit pas l'obstacle arriver, et heurta de plein fouet quelqu'un qu'elle n'eut même pas le temps de voir. Ebahie, elle faillit tomber, et bredouilla, tout en tentant de retrouver l'équilibre :
«Pardon, pardon, je vous prie de m'excuser, je ne... Enfin... Pardon !»

Elle se réveillait ce matin, heureuse, pour une des première fois de sa vie. Elle était dans les bras d'un homme qu'elle avait rencontré hier. Pourtant, la réalité que le rêve qu'elle voulait tant, avoir une personne qui l'aime pour ce qu'elle est, ne se réalisera pas maintenant et probablement jamais. Elle se leva donc, du lit de l'inconnu dont elle ne se rappelait même pas du nom qu'il lui avait donné la nuit dernière. Elle se rhabilla tranquillement dans la salle de bain lié à la chambre, en profita pour se remaquiller et sorti alors que cet individu dormait toujours. Elle le regarda, souriante, quelque instant avant de laisser son numéro de téléphone et son prénom tout en précisant de la rappeler s'il le voulait.

Et elle repartit chez elle, verrouilla la porte et décida de prendre une bonne douche, chantant toute seule my heart will go on avant de se dire que ce serait une bonne idée de sortir un peu, comme hier. Qui sait, elle pourrait peut-être rencontré son prince charmant aujourd'hui si elle sortait? Peut-être pourrait-elle voir cette personne qui lui manquait dans sa vie, car elle en avait plus que marre de coucher à gauche et à droite pour rien. Elle avait besoin d'amour, d'une attention particulière et non d'une relation d'une nuit sans importance. Elle était femme et méritait ce qui est le mieux pour elle. Elle n'a pas besoin d'ami, mais d'une seule personne qui arriverait à la comprendre et se ficherait bien de son sexe ou ses autres personnalités. Une personne apte à l'aimer et être présent pour elle qui décrocherait la lune pour cette personne unique. Ce n'est pas aussi facile que les contes de fée. Trouver l'amour parfait est bien hasardeux. Pourtant, malgré les années à chercher et ne pas trouver, elle ne désespère pas, non, sa quête devient de plus en plus intéressante, bien que la lumière commence peu à peu à s'éteindre, elle ne cède pas et continue de se dire que l'amour existe pour tous et même elle peut accéder à cette personne qui lui est destinée.

Elle reçu un message de son éditeur, toujours aussi présent et il lui demanda à quelle chapitre de son livre elle était rendu. Elle regarda sur l'ordinateur et lui donna le nombre de page et de chapitres. Elle ne s'intéressait pas vraiment à ce que son lui faisait, tant qu'il rapportait de l'argent en fait. Elle aimait seulement parler à l'éditeur qui la faisait rire avec ses imbécillités et lui renvoya des blagues dans son humour un peu noir, sachant très bien qu'il semblait apprécier ce genre de remarques sarcastique.

Elle voulait vraiment sortir. Alors elle se leva de son lit et se dirigea vers sa garde-robe pour chercher une belle robe. Elle critiqua tous les morceaux, disant qu'elle n'avait rien, mais elle se dit qu'une robe rouge très longue, mais ouverte sur le côté droit, puis elle remarqua ses beaux escarpins de la même couleur. Elle n'avait plus qu'à se maquiller : du fond de teint, un rouge à lèvre rubis, du contour yeux, du mascara et des faux cils ont fait son visage féminin. Elle s'habilla donc, prenant bien soins de rembourrer la poitrine qu'elle n'avait évidemment pas. Il lui manquait qu'une chose pour cacher sa musculature, un manteau long, mais très mince qui n'était pas collé à sa peau. Maintenant, elle était prête à quitter la pièce.

Elle alla donc dans son endroit favoris; le bar. Elle s'asseyait au même endroit qu'à son habitude, disant toujours quelque chose à des inconnus et voyant la plupart du temps ses coups d'un soir. Aujourd'hui, un importun vint la voir et tenta de la draguer, mais il n'était pas du tout de son goût. Elle s'excusa tout de même poliment pour aller à quelque part d'autre, loin de ce type qui avait l'air de vouloir une pute – tu n'en étais pas une-, mais elle se fit bousculer par une fille. Elle eut un petit mouvement de recule et repris son équilibre juste à temps. Cette sale... Mais c'était une gamine, enfin elle ressemblait bien à une. Elle aimait les jeunes filles, peut-être parce qu'elle avait toujours voulu en être une au fond.

- Ça va haha. C'est en partie de ma faute aussi.

Elle lui sourit et la trouvait vraiment mignonne! Trop mignonne pour exister, mais elle ne la tuerait pas voyons! Elle tendit la main, le sourire aux lèvres, trop attendrie par la personne qui se tenait devant elle.

- Je m'appelle Ashley Je te paye un verre?

~Feel Good Inc~

Natasha releva la tête, les joues rosies par la gêne, et fut soulagée d'entendre qu'on ne lui en voulait pas. Puis, troublée, elle posa son regard sur "l'obstacle". La femme qu'elle avait bousculée était somptueuse. Vêtue comme une diva, tout en carmin, perchée sur de beaux escarpins, et les lèvres luisantes de passion, elle ressemblait à ces chanteuses des années 60, qui auraient fait vibrer le cœur de n'importe quel auditeur. Sa propre bouche s'entrouvrit d'admiration, et elle la referma aussitôt, dans l'espoir que l'inconnue n'ait rien perçu. Ses lèvres s'étirèrent en un pâle sourire, et dans son esprit, la terreur de son égarement s'était évaporée, poussée dehors par son ébahissement. L'expression aimable que lui avait adressé la bousculée suffit à rendre les lieux bien moins traumatisants. Reprenant peu à peu ses esprits, elle s'empressa d'affirmer :

«Non, c'est moi, je ne faisais pas attention.»

Elle réajusta sa robe, et ses motivations lui revinrent en tête. Suki Gakuen. La perte de son chemin. La fermeture du pensionnat. Elle jeta un œil à la pendule au-dessus du bar. De toute façon, les grilles étaient maintenant closes, alors elle serait obligée d'alerter un surveillant de sa présence, et se ferait prendre la main dans le sac. A moins qu'elle ne rentre par une fenêtre, solution bien plus judicieuse.
Un relent amer de panique au fond de la gorge, elle fit taire son esprit rationnel. Elle ne le faisait jamais, et suivait à l'accoutumée les chemins larges et droits qu'il lui indiquait, mais ce soir, cet endroit serait le berceau de l'adolescence qu'elle avait perdue. Ce soir, elle laisserait parler un peu, pour une fois, son inconscience. Des feux d'artifices dans les yeux, elle serra la douce main que lui tendait la dite Ashley. Elle avait l'intention d'accepter sa proposition, et de boire un verre dans ce bar glauque au possible. Elle se sentirait plus en sécurité avec elle, qui semblait une habituée des lieux, que seule, dans les rues, à fixer les étoiles dans le blanc des yeux.  

«Moi, c'est Natasha. Et bien, oui, pourquoi pas.»

Son sourire se fit plus franc quand elle lâcha la main d'Ashley. Gargarisée par l'ambiance festive, et à la fois craintive devant cet environnement inconnu, elle ne se sentait pas à sa place. Et malgré ça, une corde fourbe et invisible l'avait liée à ces lieux vibrants. Toute sa vie n'avait finalement été qu'un enfermement permanent, et elle avait enfin la possibilité d'être libre. La France était belle pour ce qu'elle avait de libre, et elle-même était laide pour ce qu'elle avait de lâche. Souvent, pour réussir à dormir, elle se persuadait qu'elle était forte, et courageuse, pour avoir par exemple oser fuir son père odieux, mais au fond, elle pensait sa fuite couarde. Maintenant, dans des contrées étrangères, elle se devait la liberté et la bravoure. On lui avait volé l'occasion de vivre dans l'insouciance, on lui avait pris sa chance de devenir quelqu'un d'intègre. On lui avait ôté le droit de vivre des premières fois excitantes, et elle ne le récupérerait jamais. On l'avait forcé à grandir trop vite, et à acquérir la sagesse d'une adulte alors qu'elle n'était qu'une enfant. Il lui avait longtemps semblé impossible de combiner des pensées de fille à sa personnalité de femme, mais ce soir, rien n'était impossible. Elle avait toutes les cartes en main. Au diable les sentiments qui font mal, au diable les amitiés qu'elle se refusait, au diable la douleur, au diable la réserve ! Pour un soir, au moins, elle aimerait, rirait, et boirait, comme une adolescente, en toute connaissance de cause.
Sa vie commençait maintenant, même si elle devait se terminer demain, à l'aube. Ses grands yeux mauves plissés par son sourire éclatant, et sincère, elle osa, sans retenue, gratifier sa libératrice d'un compliment :

«Vous êtes jolie.»

Le tutoiement n'entrait pour l'instant pas dans ses capacités, mais peut-être que ça viendrait, après le verre promis. Fière d'avoir osé, d'avoir dit comme elle le faisait rarement la première chose qui lui venait à l'esprit, elle se gorgeait d'espoir au fil des secondes. Tétanisée à l'idée d'afficher un comportement étrange même à ses yeux, les battements de son cœur lui donnait la désagréable impression qu'il voulait s'éjecter de sa poitrine, emportant quelques côtes sur son passage. Mais le mélange de ses émotions contradictoires était grisant.