Du fond de teint, des rouges à lèvres, du gloss, des crayons, une bouteille d’eye-liner, du mascara…

Éparpillés sur la surface de son bureau, il observait d’un œil attentif les cosmétiques par vingtaines qui n’attendaient plus qu’à être utilisés. Le choix était vaste. Jetant un œil au miroir face à lui, il opta finalement pour la simplicité tout en appliquant une fine couche de fond de teint sur son visage déjà pâle.  Il empoigna par la suite la bouteille d’eye-liner avant de tracer une fine ligne sur son œil droit, puis sur son œil gauche. Confirmant l’égalité du maquillage de ses deux yeux émeraude, il hésita un instant puis choisi un gloss rose pâle, qu’il appliqua doucement sur ses lèvres entrouvertes. Pour clôturer le tout, il se contenta d’ajouter une fine couche de mascara et décida qu'il était inutile d'ajouter quoi que ce soit. Il recula légèrement, admirant le résultat quelques instants avant d’attacher ses longs cheveux roux en une haute queue de cheval, qu’il agrémenta d’un ruban noir.

Déjà vêtu d’une robe blanche dont les pans étaient décorés d’une dentelle noire, il jeta un dernier regard au miroir, quitta sa chambre et descendit les escaliers deux à deux. Il enfila ses ballerines noires, salua brièvement sa mère et se précipita à l’extérieur. Une nouvelle journée de mensonge l’attendait.

J’ai peur.

Que ce soit au lycée, à la maison, dans la rue… J’ai toujours peur. Tout au fond de moi, cette crainte grandit, ne guérit jamais et est à l’affût des moindres faits et gestes commis. Elle reste collée à ma peau. Je crois que la peur s’est entichée de moi. Elle est lourde, nuisible. Elle me consume toujours un peu plus.

Et pourtant, me voilà, les lèvres fendues en un long sourire. Je ris, je parle, je vis malgré ce boulet attaché à ma cheville, cette chaîne en acier qui me suit quotidiennement. Au final, je ne m’en rends même plus compte. Je l’oublie et vis la vie que j’ai toujours rêvé d’avoir; celle où les gens m’apprécient, où les gens viennent vers moi et ne me rejettent pas. La vie de rêve.

Tout aurait pu être parfait, si seulement j’avais pu être moi-même. Le garçon que j’étais il y a encore quelques années. Mais tout cela n’appartient plus qu’au passé maintenant et quand bien même je l’aurais voulu, revenir en arrière m’était à présent impossible. M’en plaignais-je? Pas vraiment, sachant qu’être une fille était devenu mon quotidien et qu’en toute honnêteté, ce n’était pas désagréable. Je m’y plaisais bien. Mettre un peu de maquillage n’était plus un problème, ni même porter des jupes et des robes. Les gens n’y voyaient que du feu de toute façon, et j’étais heureux, ainsi.

Malgré toutes ces années vécues à endurer la méchanceté puérile des gens, après avoir souffert plus qu’il n’en faut, je n’arrivais pas à être malheureux. Souvent, je regrettais mes choix, certes. D’autres fois la peur me surpassait et les nuits blanches s’accumulaient.  Mais au final, déprimer à long terme ne m’allait tout simplement pas et il s’agissait du plus surprenant. Peu importe ces maintes fois où je me suis observé dans le miroir en me répétant, ’’tu es dégoûtant’’, le lendemain, tout semblait être réglé. Je suis comme ça. Autant je peux me détester, me trouver affreux et me traiter de tous les pires noms, tout comme je peux me trouver joli, être fier de ce que je suis devenu et sourire niaisement.

Je n'ai jamais eu de logique, de toute façon. Certains jours je vois rose, d'autres je vois gris. Il n'y a pas de juste milieu.

Mais tout au fond, j’ai toujours peur et ça ne changera jamais. La peur qu’on me découvre sous mon vrai jour, qu’on me rabaisse et qu’on me traite telle une bête de cirque. Je ne veux rien de tout cela.

Et pourtant, si un jour on venait à me demander ’’Es-tu une fille?’’, sans hésiter une seule seconde, je répondrais que non. Non, je ne suis pas une fille, je suis un garçon et je me suis toujours vu comme tel.

Mais je sais déjà que jamais, on ne me posera cette question. Il est beaucoup plus simple pour les autres de me voir comme étant une fille, après tout.