Tyler prend soin de son physique avec une attention presque maladive et par conséquent, il attire tous les regards dès qu'il entre dans une pièce. Il n'est pas très intimidant du haut de son mètre soixante-quinze. En revanche, il a une belle musculature qui porte à croire qu'il sait se battre. Ce n'est pas le cas, mais avoir l'air compte plus qu'être, non?

Sa peau est pâle, immaculée. Avec raison: ce n'est pas comme s'il avait déjà pratiqué la moindre activité qui puisse l'abîmer. Et pour ce qui est du bronzage, c'est presque impossible dans son pays d'origine. Le visage de Tyler est fin et souvent étiré d'un sourire méprisant lorsqu'il est en public. En privé, il détend ses traits pour afficher un air plutôt ennuyé. S'il ressent d'autres émotions que celles-ci, il ne le démontre pas, par fidélité pour son père.

Il a des cheveux soyeux et tombant juste sous ses épaules, qu'il attache souvent en une courte queue de cheval distinguée. Autrefois entièrement blond suite à une décoloration faite en cachette, il ne conserve maintenant que ses pointes plus pâles, le reste de sa chevelure ayant repoussée de son brun clair d'origine. Tyler a des yeux pâles, entourés de longs cils à rendre jalouses toutes les filles. Malgré ses quelques caractéristiques féminines, seul un aveugle pourrait le prendre pour une femme. Et encore, sa voix le trahirait.

Ses vêtements sont représentatifs de sa classe sociale, c'est-à-dire chics, hors de prix et de bon goût. Certains semblent tout droit venus d'une autre époque, mais leur élégance lui plaît.

Le principal traits de caractère de Tyler est son indépendance. Il a été laissé à lui-même très tôt et même si on pourrait facilement s'imaginer qu'en tant que gosse de riche il ne peut rien faire par lui-même mais c'est faux. Très fier et orgueilleux, il déteste demander de l'aide et évite comme la peste les situations qui pourraient le ridiculiser. De ce fait, s'il est incapable de résoudre un problème ou de venir à bout de quelque chose cela restera gravé très longtemps dans sa mémoire en tant qu'échec.

Habitué à la solitude qui a toujours été sienne, il apprécie la lecture et le violon, instrument dont il joue depuis son plus jeune âge. Il veille aussi à se maintenir en forme en faisant divers exercices, comme des pompes et des redressements assis. De plus, il sait valser à la perfection, ce qu'il déteste. En fait ce n'est pas la danse en tant que telle qu'il hait, mais les filles avec qui il doit valser dans les réceptions. Elles ont toutes le don de lui taper sur les nerfs avec leurs bavardages incessants et leurs robes extravagantes. Gentleman accompli, il ne laisse pas paraître ce genre de pensées et joue de son charme pour faire plaisir à ses demoiselles.

Si sa politesse et son savoir-vivre sont sans équivalent en présence des nobles qu'il côtoie avec ses parents, il a appris que les moins fortunés ne méritaient pas ce genre d'attention. C'est donc avec mépris qu'il les traite, faisant usage de remarques sarcastiques et parfois même méchantes qui n'impressionnent pas ses domestiques. Ils en ont vu d'autres.

Il est vrai que Tyler était autrefois un garçon gentil, qui ne voulait rien d'autre que quelqu'un à qui parler. Malheureusement, sa conduite est maintenant le pur produit des désirs de son père et même s'il a plus ou moins conscience d'être devenu quelqu'un d'arrogant et de détestable, cela ne suffit pas à le changer.

Tyler est né de l'union d'Elizabeth et de William Devory, qui furent enchantés que leur premier enfant soit un garçon, afin qu'il puisse hériter de la colossale fortune familiale à la mort de son père. Pour eux, il y avait quelque chose de dérangeant dans le fait de s'occuper d'un bébé. À la limite, un enfant en âge de raison était acceptable, mais un être entièrement dépendant et qui ne cesse de pleurnicher? Non merci. C'est ainsi qu'à peine sa première bouffée d'air aspirée, il se retrouva dans les bras d'une nourrice bien payée pour sa peine.

La vie de ses parents retrouva rapidement son cours normal, comme si rien n'avait changé à l'arrivée de leur fils. Dans leur immense manoir, c'est à peine s'ils l'entendaient pleurer de temps à autre. Et puis, pour l'entendre ils auraient fallu qu'ils soient dans la maison, ce qui était rarement le cas. Malgré cela, Tyler grandit heureux et choyé par les domestiques.

«N'oublie pas mon fils: tu es au dessus des autres, par ton sang et ton ascendance. C'est ce que nous sommes, et tu ne dois pas faire honte à ta famille.»

Une telle réflexion faite à un enfant de neuf ans ne peut qu'entraîner de l'incompréhension. Il avait bien remarqué que les gens semblaient le traiter avec beaucoup de respect, lors de ses sorties avec ses parents. Il comprenait, jusqu'à un certain point, qu'il avait beaucoup de chance de vivre dans une telle richesse. Mais si son père disait vrai, avec qui pourrait-il jouer? Ne laissait-il pas supposer que personne n'était assez bien pour qu'il daigne lui accorder de l'attention? Au fond, c'étaient des réflexions plutôt vaines. Son avenir était déjà tout tracé. Il vivrait une vie privilégiée, qu'il partagerait un jour avec une femme de son statut, jusqu'à son dernier jour. Pourquoi se plaindre, alors qu'il était l'enfant le plus choyé d'Angleterre?

Tyler suivait plusieurs cours, donnés par des tuteurs privés, mais il avait tout de même du temps libre. Trop de temps libre en fait, pour quelqu'un qui n'avait personne à qui parler. Cela dura jusqu'à ses quatorze ans. Il rentrait d'une promenade quand il fût alerté par des cris. Une des femmes de ménage brandissait un balai en guise d'arme vers une petite forme accroupie. Il s'approcha, intrigué, et demanda à savoir ce qui se passait. Alors que le jeune homme avait fait quelques pas à peine, ce qu'il avait pu identifier comme étant un garçon de son âge lui sauta dans les bras. Par réflexe, il l'enlaça pour le rattraper.

-S'il te plaît... N-ne la laisse pas me faire de mal!

Sa voix était tremblante, mais son corps l'était davantage alors qu'il se serrait contre le noble. Manifestement, il n'avait pas mangé depuis un bon laps de temps; Tyler pouvait même sentir ses os à travers son mince chandail. Ce dernier prit quelques secondes pour réagir, tandis que la servante les regardait d'un air horrifié. Avec douceur, il décolla  l'inconnu de contre lui mais prit sa main et la serra un peu. Il ignora la vieille sorcière et entraîna le garçon à sa suite, dans le manoir. Après un bain, un coup de peigne et un repas, celui-ci était méconnaissable. Malgré ce regain d'énergie, il s'endormit rapidement, sans avoir lâché la main de Tyler. Couché à ses côtés, le jeune homme appréciait ce contact et souhaitait qu'il dure toujours. C'était la première fois qu'il était aussi proche de quelqu'un. Maintenant qu'il y pensait, jamais ses parents n'avaient manifesté la moindre envie de l'enlacer, ou simplement de caresser ses cheveux. Ses pensées ne l'empêchèrent pas de s'endormir au bout de quelques minutes. Le réveil fut brutal. On lui arracha le garçon, qu'il avait enlacé pendant la nuit. Par la suite, les secondes s'écoulèrent lentement, comme à regret. Tyler se redressa, déboussolé, et reconnut finalement son père, qui agenouilla le garçon avant de pointer une arme contre sa tête et de tirer.

«Je n'ai même pas pu savoir son nom...»

À partir de ce moment-là, il reçut l'attention qu'il avait toujours souhaitée de la part de ses parents. Son père se fit un devoir de lui enseigner sa façon de penser, et Tyler accepta ce lavage de cerveau avec plaisir, pour échapper au passé. Cela fonctionna très bien d'ailleurs, et au fil des soirées mondaines, il devint un digne fils de la famille Devory. Certes il se réveillait régulièrement avec la sensation d'une main qui serrait la sienne et son oreiller trempé de larmes, mais cela se produisait de moins en moins souvent.

Bien peu de choses durent éternellement, et l'argent n'en fait pas partie. C'est la dure leçon que reçurent William et sa femme alors que Tyler avait dix-sept ans. La perspective de perdre la face et d'avouer qu'ils avaient de gros problèmes économiques était impensable, et c'est pourquoi ils vendirent leur manoir pour s'installer dans une de leur propriété, plus modeste, en France. Ils renvoyèrent les tuteurs et inscrivirent leur fils dans un lycée du coin, lui donnant tout un tas d'excuses bidons pour expliquer la situation sans révéler le vrai problème. Il ne prit pas la peine de protester ou de les interroger. S'il avait appris quelque chose durant ces trois années, c'était bien d'obéir à ses parents.