Alors maintenant, prétentieux comme vous êtes, vous voulez aussi connaître mon histoire ? Oh, malheureusement, je doute qu'elle soit d'un assez grand crû pour ravir vos oreilles inquisitrices et avides ! Mais, bande de charognes, vous ne ferez pas les difficiles si j'ai bien su comprendre...? *soupir*« Ite mita est ! »
Le prêtre, suivi de toute l'assemblée, effectue à ces mots un signe de croix, énième symbole de la chrétienté en cette église centenaire. Les gens se dispersent ensuite ; la messe est finie. Et l'ecclésiaste, ravi de dénombrer toujours plus de fidèles dans sa paroisse, se tourne vers l'immense orgue prenant appui sur le mur du fond, un sourire aux lèvres.
« C'était une magnifique mélodie mon fils ! Merci infiniment !
-Je vous en prie, mon père. », répond l'interpellé en pivotant sur son tabouret, ses yeux gris débordant d'étoiles.
Tandis qu'il se lève, recouvrant amoureusement le clavier de l'orgue avec un drap, on comprend que ce garçon de six ans est un véritable passionné. Il sautille ensuite gaiement vers ses parents restés dans l'encadrement de la porte ; le premier souriant, heureux de voir son fils si joyeux, la deuxième froide, préférant garder ses distances avec cet enfant auquel elle n'accorde pas sa confiance.
Mère ne m'a jamais fait confiance.
C'est une et une seule conversation avec elle qui me fit comprendre pourquoi ; je devais avoir dix ou onze ans quand je compris ce qui rendait ma mère parfois violente et incontrôlable.
« Alors, qu'as-tu fais avec ton professeur de piano aujourd'hui ?
-Concerto numéro 1. De Bach.
-Et tu as réussi ?, me demanda-t-elle comme si elle s'en préoccupât.
-A lui apprendre ? Oui. »
Son visage se crispa, son pouls s'affola, ses pupilles et narines se dilatèrent : elle faisait une crise. Seulement la situation était différente des autres fois, car père n'était pas là pour la retenir...
« Qui es-tu ?... Où est-...OU EST MON FILS ?!, cracha-t-elle, les yeux révulsés, en m'agrippant au cou.
-M-mère ! »
Elle me gifla violemment, laissant trois légères griffures au passage de ses ongles parfaitement manucurés. Elle écumait littéralement de rage et je me retrouvais dans l'incapacité d'esquisser le moindre geste, aussi bien étreint par ses mains que par la peur d'être à nouveau frappé.
« Monstre ! MONSTRE !... Tu n'est pas MON ENFANT !! », reprit-elle, hystérique, en me secouant.
Il était bien évidemment hors de question que je me mette à implorer ma mère pour qu'elle se calme. Aussi, je me contentai de darder un regard plein de mépris dans l'acier des yeux de ma mère, malheureusement similaire au mien. Elle sembla choquée, ouvrit la bouche puis la referma, et me balança enfin par terre avant de me donner autant de coups que ces chaussures vernis purent le supporter.
« AAAAAAH ! DEMON ! Quitte mon fils ! Sors ! SORS ! SOOORS ! »
Une marée de sang en bouche, une chute de larmes sur le parquet, un silence ponctué par les bruits sourds des coups que j'encaissai. Mon esprit se trouva trop occupé à essayer de comprendre les motivations de ma mère pour faire attention à une quelconque douleur. Je l'avais déjà entendu proliférer des insultes à mon intention, des menaces de mort même... Et elle m'appelait « démon » ? Elle ne croyait quand même pas que j'étais...possédé ?
Et j'avais raison, comme toujours. Mon père m'avoua par la suite qu'elle me reprochait mon impassibilité quasi-constante et mes résultats scolaires trop parfaits ; pour une fervente catholique, l'explication était toute trouvée !
Après cela, ma mère cessa simplement de me parler et la vie reprit son cours. J'obtins mon bac à quatorze ans et me consacrai ensuite entièrement à la résolution d'enquêtes avec la police, chose que je faisais déjà mais seulement parallèlement à mes études. Mais c'était terriblement frustrant pour moi de ne pouvoir aider que de l'extérieur, comme simple consultant : je veux aller sur le terrain, prélever moi-même des indices que ces crétins d'investigateurs ne soupçonnent même pas, interroger les suspects et les pousser dans leurs derniers retranchements... Seulement, il me faut pour cela de plus grandes qualifications...
D'où ma poursuite d'étude à Suki Gakuen.