Je n'avais pas envie de grandir. Et pourtant, un événement tragique m'y força ; je n'avais plus d'autre choix que de devenir un adulte. Vingt ans, c'est jeune pour devenir un adulte.

- Zachary réveille-toi ! Zachary !

J'ouvrais soudainement les yeux en entendant la voix de ma mère qui hurlait en bas des escaliers. J'étais en retard pour la fac ? Non. Son ton était paniqué, plus que ça même. Horrifié. Je tournais la tête vers mon réveil en enfilant un jean, et constatais qu'il était 2h36 du matin. Il y avait un gros problème. Je descendis les escaliers en trombe sans prendre le temps de mettre un T-shirt et vit ma mère, au sol, agenouillée. Incapable de tenir sur ses jambes tant la peur l'envahissait. Et dans ses bras, un petit garçon que je connaissais parfaitement. Kaleï. Âgé de 10 ans à peine et le visage couvert de sang. Il était inconscient.

- Qu'est-ce qu'il se passe ?!
- Kaleï... ses parents... ils sont morts.. !

Ma mère sanglotait et je sortis de la maison pour voir ce dont il s'agissait. Des tas de voitures de police autour de la maison voisine. Et un policier devant la porte venu prendre la déposition de ma mère. Je lui expliquais gentiment qu'elle n'était pas en état de lui parler avant de demander ce qu'il s'était passé. La vérité me sidéra : les parents de Kaleï venaient d'être sauvagement assassinés. Des problèmes de dettes certainement. Kaleï s'était retrouvé orphelin du jour au lendemain. Ce gamin dont je m'étais occupé un nombre incalculable de fois. Sa vie venait de s'écrouler en quelques minutes.


- Il va se réveiller un jour ?
- Il faut encore un peu de temps, cela ne fait que deux jours. Son corps est épuisé.
- Quand est-ce qu'il faudra s'inquiéter ?
- Si demain il ne se réveille pas.. alors les chances vont s'amenuiser de jour en jour.

Je prenais ma tête entre mes mains, terriblement inquiet. Kaleï était dans un sale état, et il avait perdu son oeil droit. Heureusement, dans son malheur, son cerveau n'avait pas été touché, mais il ne récupèrerais jamais la vue avec cet oeil. Il ne pourrait même plus l'ouvrir à vrai dire. Je tenais la main bronzée du petit Hawaïen en espérant qu'il se réveille bientôt. Ou peut-être pas après tout. Quand il se réveillerait, il faudrait lui expliquer que ses parents étaient morts tous les deux, et qu'il n'aurait plus qu'un oeil. La psychologue de l'hôpital m'avait conseillé de lui dire qu'il s'agissait d'un accident de voitures, qu'il était trop jeune pour supporter la vérité. J'approuvais cette idée. Moi-même à vingt ans j'étais terriblement choqué alors qu'il ne s'agissait pas de mes parents.

- Monsieur Clairbois ?
- Oui ?

Je redressais la tête pour voir une femme entrer dans la chambre d'hôpital. Ce n'était pas une infirmière, elle était habillée en tailleur et avait des documents à la main. Je pensais tout d'abord à la police mais elle ne portait pas de badge. Elle prit une chaise pour s'asseoir face à moi avec élégance et prit une inspiration avant de commencer.

- Vous étiez un proche de la famille Leilani ?
- Oui, mais j'ai déjà fait ma déposition à la police sur ce que je savais. Il manque quelques chose ?
- Je ne suis pas de la police, je suis notaire. Vous savez que chaque parent doit désigner un tuteur légal à leur enfant s'ils meurent avant que celui-ci n'atteigne sa majorité. Madame Leilani vous a désigné comme le tuteur de Kaleï.

J'ouvris des yeux ébahis. Je savais que je m'étais toujours occupé de Kaleï, mais de là à être son tuteur... je devais admettre tomber un peu des nues. La femme ne me brusquait pas, comprenant visiblement que j'étais choqué par tout cela. Kaleï n'était pas encore sorti d'affaire, et je devinais que si la désignation d'un tuteur pressait c'était pour les décisions médicales. La femme reprit la parole.

- Bien sûr vous avez le choix, vous n'êtes pas forcé d'accepter de devenir son tuteur. Prenez le temps d'y réfléch...
- Je signe où ?

La notaire me regarda stupéfaite. J'étais chamboulé, c'était vrai. Je n'avais jamais eu de petit frère ou autre, mais je m'étais toujours occupé de Kaleï et j'adorais ce gamin. Il venait de perdre ses parents, il était hors de question que je le laisse avec de parfaits inconnus. Il me connaissait très bien, et moi je savais m'occuper de lui. Ce ne serait pas facile, il était dans un sale état aussi bien physique que mental, je ne pouvais même pas imaginer. Mais c'était le moins que je puisse faire : être là pour lui.

- Vous ne voulez pas prendre le temps d'y réfléchir ?
- Non, je suis sûr de moi. Je ne laisserais pas Kaleï seul.
- Tenez dans ce cas.

Elle m'expliqua les formalités, et sans hésiter un seul instant je signais. J'avais vingt ans, et je venais de devenir tuteur d'un enfant de dix ans. J'avais signé pour m'occuper de lui comme d'un responsable légal, de prendre les décisions administratives pour lui, de l'entretenir financièrement, tout. J'allais être son père de remplacement, ou plutôt un grand frère très responsable ou quelque chose comme ça. En tout cas, Kaleï était à ma charge désormais. Une fois les papiers remplis, la notaire sortit de la chambre en me souhaitant bon courage.

Je regardais le visage bronzé de Kaleï en soupirant. J'avais une licence de biologie en poche. J'avais commencé mon master mais je n'aurais pas l'occasion de le finir. Mais il y avait plus important que mes études, pour preuve je n'avais pas hésiter un seul instant à abandonner pour aider ce gamin. Quelques minutes plus tard, il ouvrit les yeux. Ou plutôt un oeil.

- Zach.. ?
- C'est moi, fis-je en tenant sa petite main dans la mienne.
- J'ai mal à la tête.
- C'est normal.
- On est où ?
- A l'hôpital. Ecoute Kaleï, accroche-toi, j'ai une... très mauvaise nouvelle à te dire.

Il me regarda de son oeil ouvert, apparemment pas encore conscient qu'il en manquait un. Pourquoi était-ce à moi de lui dire cela.. ? Je ne voulais pas lui mentir. Il allait pleurer, être détruit. Mais ce serait tellement pire avec la vérité. Je soupirais en me rapprochant de lui.

- Tes parents et toi avez eu un accident de voiture. Ils... n'ont pas survécu Kaleï. Je suis désolé...

Kaleï pleura. Il pleura toutes les larmes de son corps. Il était totalement paniqué, perdu. Comme un garçon de dix ans qui venait de perdre ses deux parents subitement. Je le serrais contre moi en me sentant l'envie de pleurer également. Mais il ne fallait pas. Ce jour-là, je me fis la promesse d'être toujours fort pour lui. Toujours assez fort en apparence pour qu'il partage sa souffrance avec moi. Quelques heures plus tard, le petit Hawaïen s'était endormi d'épuisement dans mes bras. Cette cicatrice ne partirait jamais, et il avait compris pour son oeil pendant qu'il pleurait. Au moins il était en vie, mais à quel prix ?
J'allais tout faire pour que sa vie retrouve de la joie. J'allais lui redonner le sourire, même si cela me prenait des années.


Ma mère avait mal supporté le choc. Elle était heureuse que Kaleï soit toujours en vie, mais dès qu'elle le voyait elle se rappelait de la scène sanglante à laquelle elle avait assisté. Je n'aimais pas la laisser seule, mais je crois que même me voir lui rappelait de mauvais souvenirs. Ainsi j'avais décidé de la laisser respirer. Je l'aidais à déménager plus loin que cette maison morbide, et l'encourageait à prendre du temps pour elle.

- Maman, je vais retourner en France. J'emmène Kaleï avec moi.
- Quoi ? Tu me laisses là ? Toute seule ?
- Il faut que tu te reposes et... tu as l'air stressée quand tu me vois. Reconnais-le.
- ...
- De toute façon le coupable n'a pas été attrapé, je dois éloigner Kaleï d'ici. Il a vu trop de choses pour être en sécurité.
- Et tes études.. ?
- Je passerais un concours pour être professeur en France, ça devrait aller. Je laisse mes études là où elles sont.
- Tu n'es pas un peu jeune pour tout ça.. ?

Je souris doucement, rassurant. Si j'étais jeune. Jeune pour avoir un enfant à charge et continuer à l'élever seul. C'était le moins qu'on puisse dire. Mais ce n'était pas n'importe qui : c'était Kaleï Leilani. Sa mère avait placé sa confiance en moi, et je n'allais pas la trahir.

Ce jour, j'embrassais ma mère pour lui dire au revoir. Vu le prix du billet France-Hawaï je n'allais pas revenir souvent. Je partis prendre l'avion, stressé, avec Kaleï âgé de dix ans à mes côtés. Il avait un pansement sur l'oeil et était capable de marcher. Pas encore de sourire, mais de marcher. Dans la file d'attente, je baissais les yeux vers lui en ébouriffant ses cheveux.
- Pourquoi on doit partir Zach ?
- Il faut nous changer les idées. Et j'ai un concours à passer en France.

Il se réfugia contre moi en se collant à ma taille. Il était encore petit, mais si adorable. J'espérais vraiment pouvoir lui rendre le sourire un jour, alors je passais ma main sur son épaule, rassurant. Je scrutais les environs pour vérifier que personne de suspect ne nous suivait. Mais ce ne fut qu'une fois arrivés en France après de très longues heures de vol que je fus enfin rassuré. Kaleï était loin de son meurtrier, et j'allais tout faire pour l'aider à reprendre une vie « normale » après ce drame. Je me promis d'être un tuteur exemplaire et toujours présent pour lui.

Je le protègerais toujours, même au péril de ma propre vie.