Me décrire physiquement c’est compliqué vous savez ? C’est une question de goût et de subjectivité tout ça. M’enfin. J’vais essayer hein. Surtout qu’au final, je n’aime pas mon physique. Pas que je me trouve moche ou autre, mais.. Je sais pas, je m’aime pas quoi. Mais bon, j’suis comme ça hein. Enfin bref. On va commencer hein ?

Je ne suis pas ce type de mecs, genre armoire à glace : vous savez, les types d’un mètre quatre-vingt-dix, qui font cent vingt kilos, mais sans un seul gramme de graisse. Non, moi je ne suis pas si grand, je ne fais qu’un mètre soixante-seize pour un poids tout à fait raisonnable que je garderais secret. De toute façon, avec tout le sport que je fais, je pense – et j’espère surtout – n’avoir aucun problème de poids. Niveau musculature aussi. C’est un peu normal de toute façon : je fais presque dix heures de sport par semaine, jogging, musculation, tout y passe même si j’ai une préférence pour le basketball. C’est une façon comme une autre de passer le temps hein. Bref. Histoire de bien me pourrir la vie, ma mère a eu la bonne idée de faire de moi un gamin blond aux yeux noisette. J’dois avouer que j’aime bien mes yeux ; selon la lumière, ils paraissent dorés et je trouve ça classe. Bref. J’ai la peau assez pâle – sans être d’une pâleur maladive hein – même si je suis souvent dehors, sûrement à cause des gènes irlandais de ma mère. Quoi d’autre ? Ah oui ! Je me suis fait percer l’oreille gauche il y a quelques années, une petite rébellion contre mon beau-père vous voyez ? Mais ce n’est pas le plus important hein.

Côté vestimentaire, je ne suis pas des plus compliqués ; c’est un fait. Je porte ce qui me passe sous la main. J’ai des préférences, soit, mais je ne pense pas qu’elles soient plus importantes que ça. J’aime les chemises unis comme les tee-shirts, les baggys comme les jeans ou les shorts de sport. Non franchement, je ne suis pas chiant pour ça. Par contre, il est très rare de me voir sans mon ‘’collier porte-bonheur’’, une simple chaine en argent avec des plaques militaires. C’est la seule chose que j’ai qui me rappelle mon père, alors bon.

Je crois que les mots qui me caractérisent le plus, c’est ‘’gamin chiant qui aime provoquer les gens pour s’amuser et qui ne prend rien au sérieux’’. C’est ce qu’un de mes professeurs disait de moi en tout cas, peut-être pas aussi crument, mais quand même. Je dois avouer que ça me plait bien comme description. Enfin bref. Sans vouloir me jeter des fleurs, je suis quelqu’un d’assez intelligent. D’accord, je ne suis absolument rien en cours – quand j’y vais en tout cas – sauf quand il y a un rapport avec quelque chose qui me plait. Ok, je passe pour le mec accro au sport qui ne sait pas épeler son nom. Et pourtant. J’ai toujours eu des moyennes respectables, je n’ai jamais eu de réels problèmes au niveau scolaire, et plus encore, je suis capable de tenir une conversation sérieuse quand il le faut. J’aime pas ça, mais je suis capable de le faire, j’vous jure. Malgré tout ça, je ne suis absolument pas du genre à réfléchir pour tout. Je suis bien trop impulsif pour ça. On me prend la tête pour une raison quelconque ? Je ne cherche pas très loin, attrape l’autre par le col si c’est un mec, et ça même s’il est plus imposant que moi. Si c’est une fille, je préfèrerais sûrement une remarque cinglante. D'ailleurs, en général, je suis moins.. Crétin avec les filles. Je peux être sympa et tout quoi. Peut-être pas dans le genre ''copain gay qui vient aux soirées pyjamas entre filles'', mais je sais écouter, conseiller aussi. Je sais me contenir quand il le faut quoi.

Je suis donc, comme le disait mon très cher professeur, quelqu’un qui aime provoquer les gens. Je me joue de leur comportement pour les pousser à bout. Arrogance, insolence, tout y passe. Si la situation tourne en ma défaveur, je ne me démonte pas : j’ai l’habitude de m’attirer des problèmes, alors un de plus ou un de moins, ça ne change pas grand-chose. Je me joue de tout, comme un gamin espiègle pourrait le faire, mais.. N’est-ce pas ce que je suis en réalité ? Je n’ai que dix-huit ans après tout, et toute la vie devant moi pour m’assagir. En parlant de futur, on en vient au fait que je ne prenne rien au sérieux, si ce n’est l’amitié. A quoi ça sert de tout faire pour avoir une situation stable dans vingt ans alors qu’on ne sait pas ce qui se passera demain ? Je ne vais pas gâcher ma jeunesse à prévoir mon avenir alors que je peux me faire faucher par un bus dans trois mois hein. Je ne suis pas pessimiste ou défaitiste, juste réaliste hein.

On peut rajouter à la liste de mes qualités qui peuvent devenir des défauts la persévérance et la franchise. Si je veux quelque chose, je ne lâche pas l’affaire. C’est d’ailleurs pour cette raison je pense que je me suis retrouvé dans un lycée militaire avant d’arriver ici. Je crois que mon cher beau-père n’a pas supporté que je m’entête à le faire partir – d’ailleurs, j’essaye toujours, mais en étant dans un internat, c’est beaucoup plus compliqué, j’vous jure –. De la même façon, si quelque chose ne me plait pas, je n’hésite pas à le dire, que ce soit blessant ou non. La seule chose qui peut me pousser à me taire serait un ‘’plan’’ pour obtenir quelque chose de la personne visée, mais pour cela, il faudrait que je réfléchisse avant de parler, ce qui ne risque pas d’arriver je crois.

Pour faire simple en fait, on peut s’arrêter sur la remarque de mon prof. Je crois qu’il ne se trompait pas vraiment sur moi.

Certains disent qu’on nait égaux, mais je n’ai jamais cru à cette égalité. Même petit. Si j’étais né à l’égal de mon voisin, je n’aurais jamais eu cette discussion stupide avec ma mère à l’âge de cinq ans. Je me souviens lui avoir demandé où était mon père. Bon d’accord ça devait ressembler à quelque chose du genre : « Maman. Il est où mon papa dis ? Les autres ils disent que j’en ai pas, mais c’est pas vrai hein ? », mais j’étais un gamin hein. Et ma mère m’avait sorti la plus grosse connerie du monde : « Il est là… Et là aussi mon cœur. » en montrant successivement son cœur et mon cœur. C’est classe comme réponse, soit, mais quand t’es un gamin de cinq ans qui n’a jamais vu son père, tu te demandes si ta mère est folle ou non. Et puis.. Même gamin, je n’étais pas assez stupide pour répondre aux autres qui se moquaient de moi que mon père était dans mon cœur. Et puis quoi encore ? Enfin bref. La même année, j’ai fait la rencontre d’Erik, le futur mari de ma mère. Au départ, j’étais content hein, mais je ne voulais pas qu’il remplace mon inconnu de père malgré tout. Alors quand j’ai appris qu’ils allaient se marier d’ici quelques mois, je me suis énervé comme le gamin capricieux que j’étais.

Six ans. « J’veux pas partir ! Imagine papa revient, il fait comment pour nous retrouver ?! » « Il y a Erik maintenant. C’est lui ton père à présent. » « C’est pas mon père ! » J’aimais ma mère, il n’y a rien à dire là-dessus – je l’aime toujours d’ailleurs, mais je m’en vante pas hein –, pourtant je lui tenais tête à presque six ans. Mais comment vous auriez réagi vous si votre beau-père vous sort qu’il doit partir à Detroit pour son travail et qu’il aimerait que vous le suiviez, parce que ‘‘vous êtes sa famille’’. Foutaises tout ça. Seulement, ma mère a voulu le suivre alors au revoir Irlande, bonjour Amérique. Youhou..

Huit ans. « Maman ? Qu’est-ce qui t’arrive, ça va pas ?» Je rentrais à peine de l’école avec la mère de mon meilleur ami – et presque voisin au passage – et je me retrouvais devant ma mère, enceinte de presque quatre moi, pliée en deux par la douleur. Sur le coup, j’avais voulu rappeler madame Nichols mais elle était déjà devant chez elle. Donc finalement, j’avais suivi les instructions de ma pauvre mère et avais appelé les secours. Vous vous doutez bien que les explications de la situation étaient très.. particulières. Où était Erik ? Pas là. Depuis qu’on était à Detroit, il avait tendance à avoir beaucoup de voyages pour le travail. Enfin.. C’est ce qu’il disait, et je le croyais à cette époque, à présent c’est autre chose. Une fois là, les secours m’avaient demandé où était mon père, et moi, je leur avais répondu tout simplement que je ne le savais pas, que je ne l’avais même jamais vu. Finalement, ils m’avaient emmené à l’hôpital et là-bas seulement, j’avais accepté de leur parler d’Erik qui – comme par hasard – ne pouvait pas revenir tout de suite. Je m’étais donc retrouvé, pour quelques jours, chez les Nichols, pour le plus grand plaisir de James mon meilleur ami. Ma mère était rentrée une semaine plus tard, et donc moi aussi. Je m’étais occupé d’elle comme je le pouvais, et surtout, elle avait enfin accepté de me parler de mon père. Elle m’avait expliqué que c’était un soldat américain qui avait profité de sa permission de la rejoindre – ils étaient apparemment en contact depuis un moment, je ne sais plus vraiment en fait – et qui avait été envoyé en Irak peu avant ma naissance. Elle m’avait donné un collier avec les plaques militaires de mon père, plaques où était inscrite son identité : Davis Cooper, ainsi qu’une photo de lui. Et elle m’avait expliqué qu’il lui avait promis de revenir ou de lui donner des nouvelles, mais elle n’avait jamais rien reçu. Elle avait terminé là-dessus. Rien d’autre. Mais moi, j’étais heureux ; je savais qui était mon père.

Quatorze ans. La vie avait suivi son cours ; comme tout petit garçon, j’avais commencé le sport, d’abord un par semaine, puis deux pour finalement m’arrêter à trois. Chaque année, j’avais voulu en découvrir un nouveau mais ma mère m’avait fixé cette limite de trois, alors chaque année, j’avais abandonné un sport pour en attaquer un autre. Pourtant, il y en avait un que je n’avais jamais voulu arrêter : le basketball. Enfin bref. Quatorze ans, c’est aussi le début de l’âge ingrat comme on dit, et je crois que je n’ai pas fait exception à tout ça. C’est à partir de cette période que j’ai commencé à chercher l’affrontement avec Erik. Je n’avais pas la carrure que j’ai maintenant, ni même le répondant, mais j’essayais quand même. Quatorze ans, c’est aussi l’âge des découvertes en tout genre. J’ai eu ma première petite-amie à la fin cette année-là. Une expérience pas très agréable, je dois avouer : je n’appréciais pas réellement ses contacts, ni même son caractère. Mais vous savez, c’est pour faire comme les autres. Et surtout, cette année-là, j’ai eu envie de connaître mon père et j’ai entamé quelques recherches via internet. Recherches grâce auxquelles j’ai réussi à le retrouver, à deux heures trente de route, à Cleveland.

Quinze ans. Le jour de mes quinze ans, j’ai reçu le plus beau des cadeaux dont j’aurais pu rêver et le pire, je crois qu’il n’y a rien d’autre à dire. J’avais parlé à James de mon père et de mes découvertes, et ce crétin avait réussi à trouver son numéro de téléphone pour organiser une rencontre à Cleveland. Un crétin ce mec, mais je l’adore vraiment, sérieux. On était parti tous les deux en prétextant une visite à la grand-mère Nichols – James étant plus âgé, il avait déjà son permis – et il m’avait laissé à l’endroit décidé avant d’aller chez sa grand-mère. La rencontre avec Davis ne s’était pas vraiment déroulée comme je l’avais imaginé. J’étais heureux de le voir, soit, mais il semblait très peu enclin à rester longtemps en ma compagnie. J’avais appris qu’il s’était marié et qu’il avait deux gamins, qu’il avait été blessé deux mois après son arrivée en Irak et qu’il avait eu une très longue hospitalisation ainsi qu’une rééducation encore plus longue ; qu’après cela, sa mère était tombée malade alors il n’avait pas le temps de retourner en Irlande. Foutaises. Ses excuses m’avaient énervé plus qu’autre chose, alors j’avais coupé court à la conversation en lui rendant son foutu collier.

Flash-back.
J’étais sorti en trombe du café où nous étions en appelant James pour lui dire que j’arriverais plus tôt que prévu chez sa grand-mère et surtout pour lui redemander l’adresse de cette dernière. Davis m’avait suivi après avoir réglé nos consommations mais j’avais préféré l’ignorer tout bonnement plutôt que de m’énerver une nouvelle fois contre lui. « Ca ferait combien pour aller vers Heritage Park ? […] Ah d’accord, merci quand même. » Problèmes : j’avais pas assez pour le taxi, ne savais pas quel bus prendre et ne voulais pas obligé James à faire l’aller-retour. Déjà qu’il avait roulé plus de deux heures pour moi. « Tu veux que je te ramène ? » J’avais lancé un regard noir à Davis avant de soupirer et d’accepter. Je n’avais pas le choix après tout : je me voyais mal marcher deux heures dans une ville que je ne connaissais pas. Le trajet s’était fait dans un silence presque pesant, mais moi cela ne me gênait pas. J’avais juste envie de pleurer en fait, mais je me retenais. « Je.. Désolé de t’avoir imposé ma présence. Et merci de m’avoir ramené. Salut. » Je m’étais sauvé comme un voleur de sa voiture en reconnaissant la maison Nichols, mais c’était mieux ainsi : après avoir fait trois pas hors de la voiture, j’avais fondu en larmes sans pouvoir me contenir. Ce mec, il venait de briser tout ce que j’avais pu imaginer sur mon père. C’était.. Douloureux ?

(Quinze ans, encore.) A mon retour de Cleveland, j’étais des plus exécrables, je m’en souviens comme si c’était hier. Le pire, je crois, ça a été le jour où j’ai reçu un colis de l’Ohio contenant un gant de baseball, un numéro de téléphone et ce foutu collier militaire. J’en voulais toujours à Davis, mais j’avais fait l’effort d’appeler ce numéro pour le remercier, c’était la moindre des choses d’après moi. Mais je ne m’attendais pas à l’entendre s’excuser de son comportement, ni même à expliquer qu’il avait eu peur l’autre fois. J’aurais voulu continuer la conversation, mais Erik venait de passer par là, et en voyant la photo de Davis ainsi que le gant et le numéro de téléphone, je pense qu’il avait compris. S’en était suivie une dispute mémorable durant laquelle j’avais perdu la photo de mon père, son gant, son numéro et mon téléphone et dans laquelle Erik avait gagné un joli coquard. La violence de la dispute m’avait poussé à partir de chez moi. Je vous rassure, j’ai pas fugué à cette époque hein. J’étais juste parti chez James, histoire de laisser les choses se calmer et surtout pour ne pas embêter ma mère avec ça. Je me souviens que ce soir-là, j’ai demandé – pour ne pas dire supplier – à James de me faire oublier tout ça, et sa façon de me faire oublier était des plus particulières, mais des plus agréables à la fois. Et puis.. grâce à lui, j’avais confirmé ma préférence pour les hommes. Mais bref, ce n’est pas le plus important.

Seize ans. En une seule année, j’avais réussi à faire trois lycées différents ; je crois que j’ai battu un record à cette époque. Le premier, c’était un lycée militaire. Vous savez, l’internat, la discipline, la rigueur et surtout le respect de l’autorité – et de Dieu au passage, je comprendrais jamais cet engouement américain face à la religion –. La blague. J’avais tenu quatre mois. Je crois que mon ‘’instructeur’’ n’avait pas apprécié mon arrogance, ni mon homosexualité. Autant mon petit ami de l’époque s’était repenti en disant que c’était une erreur, qu’il regrettait et que je l’avais poussé à agir ainsi, autant moi je m’étais accusé pour ne pas attirer de problèmes à Declan et surtout, j’affirmais mon orientation sans ciller. Erik n’a jamais vraiment apprécié le fait que je rentre après seulement quatre mois je crois. Le second était le lycée public du coin ; j’avais retrouvé James et mes amis, mes repères, mes profs aussi. Sans oublier mon habitude de dire ses quatre vérités à mon beau-père presque tous les soirs – je crois que c’est ça qui l’a poussé à convaincre ma mère de m’envoyer en internat –. Ma mère dans tout ça ? Aveuglée par son amour pour Erik je crois. C’est à ce moment que je me suis fait percer l’oreille. J’avais même voulu me faire tatouer le dos ou la nuque, ou même le bras ou le poignet, mais étant indécis, j’avais peur de ne plus supporter mon choix quatre jours après. Et le dernier lycée de cette année-là fut un lycée français à Paris. Oui, ce crétin d’Erik avait réussi à convaincre ma mère de quitter une nouvelle fois sa vie. Salut l’Amérique, bonjour la France.

Dix-huit ans. Voilà où j’en suis aujourd’hui. Je n’ai plus aucun contact avec mon père biologique à cause de mon beau-père. Ma mère me donne l’impression qu’elle vénère son enf.. Son mari. Et elle a même fait une nouvelle fausse couche pour essayer de lui faire un mioche. Je n’ai plus de contact avec ma vie d’avant, sauf avec James via internet et me voilà envoyé une nouvelle fois en internat. Au moins, ici on me demandera pas de me couper les cheveux, ni même de réciter le bénédicité à chaque repas non ?