J’entrais dans la bibliothèque poussiéreuse, gardée par deux vieilles biques à lunettes. Je leur jette un petit sourire, espérant secrètement qu’elles feraient l’impasse sur mon bonnet bleu marine que je n’avais vraiment pas envie d’enlever. Voilà pourquoi les lieux publics me faisaient chier. Il fallait sans cesse enlever son couvre-chef, et étant habitué à porter ce bonnet, je détestais ça.

- Enlevez votre bonnet s’il vous plaît.

Je soupirais rageusement, et l’enlevai d’un geste rageur. Putain. Je détestais être tête nue, ça me donnait l’impression d’être à poil, et d’exposer mon corps entier au monde qui m’entourait. Non, sérieusement, c’était chiant.

Mais j’avais besoin de calme, et ce n’était pas en plein après-midi que j’allais trouver un endroit calme. À part la bibliothèque. Je n’avais pas vraiment le choix, et pour un peu de calme, j’étais de toute façon prêt à tout.

Autre chose chiante dans les bibliothèques. Les appareils électroniques étaient interdits. Et pour moi qui voulais écouter de la musique, c’était nul. Mais j’avais un truc pour ça. Mettre l’écouteur dans la manche de ma veste, le laissant dépasser quelque peu au bout. Puis, prendre un livre et faire mine de le lire, tout en plaquant la paume de la main sur mon oreille. And enjoy the music !

C’était un truc assez simple, et je ne m’étais jamais fait choper. Restait simplement à faire le bon choix du livre. Si je prenais une encyclopédie, on allait se poser des questions. Si je prenais une bande dessinée, je l’aurais finie trop vite pour pouvoir apprécier la musique. Un roman me paraissait correct, restait à ne pas me tromper dans le choix du truc. Parce que oui, malgré les apparences, j’aimais lire.

J’aimais particulièrement les trucs d’horreur, ou les trucs assez psychologiques. Non, j’étais tout à fait normal. On peut être tout à fait normal en aimant lire des trucs psychologiques. Mais avais-je vraiment envie d’être normal ? Sûrement pas. J’étais amoureux de quelqu’un de complétement anormal, alors je devais l’être aussi, d’une certaine manière.

Je demandais à la vieille bique devant son ordinateur où étaient les romans de type psychologiques. Elle me regarda avec un de ses regards hautains que se permettent tous les vieux. Je n’aimais pas les vieilles personnes pour cette raison, entre autres. Elle m’indiqua l’échelle d’un doigt tremblant.

- Rang 29B

J’haussais un sourcil. C’était quoi cette sorte de classification étrange ? Encore un truc de vieux. Je lui adressai un petit mouvement de tête, le visage neutre. Et en me dirigeant vers l’échelle, j’aurais pu jurer l’entendre dire quelque chose sur les jeunes d’aujourd’hui. Sans déconner, l’époque de la seconde guerre mondiale était révolue. Fallait sincèrement penser à évoluer là…

Je déplaçai l’échelle jusqu’au rang 29B, puis je décidai de monter. Elle était complétement instable, si je réussissais à ne pas me casser la gueule, cela relèverait du miracle. Je montais, marche par marche jusqu’à arriver au niveau des livres psychologiques.

Le corps humain, Comment fonctionnons-nous ?, Moi, suis-je vraiment moi ?, Nous…. Ces titres ne m’inspiraient pas plus que ça, alors j’en pris un au hasard et inspectai le quatrième de couverture. C’était un truc qui parlait de Dieu, de problème mondiaux et des athées. Le sujet étant pas mal, je me décidai pour celui-là et me mis à redescendre l’échelle.

Non mais non. Je ne pouvais pas descendre cette putain d’échelle et aller lire mon livre sans que rien ne se passe. Non. Lorsque je me sentis basculer en arrière, je poussais un juron silencieux. Pas question de hurler devant ces gens, j’allais déjà assez avoir la honte lorsqu’ils se rendraient compte que je girerais sur le sol, à cause d’une putain d’échelle.

Je me contentai juste de fermer les yeux, en atteignant le sol dur de la bibliothèque. J’entendis mon mp3 s’échapper de ma poche, et je lâchais mon bonnet et mon livre par la même occasion.

Je devais avoir l’air bien con là, couché sur le sol de la bibliothèque, moi.

J’entendis vaguement un rire qui me fit ouvrir les yeux. Un mec. Je lui jetais un regard que je voulais froid, avant de me rappeler que j’étais toujours au sol.

- Désolé, j'ai pas pu m'en empêcher! Tu ne t'es pas blessé?

Je soupirais avant de saisir la main qu’il me tendait, tirant dessus de toutes mes forces pour me relever. Je n’avais pas envie de m’embêter à me relever tout seul, et pour une fois, de l’aide ne serait pas refusée. Je murmurais un faible non pour répondre à sa question, après tout si j’avais été blessé par une si petite chute, il y aurait de quoi se poser des questions quant à la fragilité de mon squelette.

Je le regardais de haut en bas. Il ne devait pas être plus vieux que moi. Je me rappelais de son rire moqueur, et je me dis qu’il ne devait pas vraiment être très différent de tous ces gens qui s’amusent du malheur des autres. Je m’écartai de lui pour ramasser toutes mes affaires. Décidément cette journée était vraiment nulle. Je ramassai mon mp3 sans prêter attention au regard furieux que me lance la vieille bique. J’avais bien le droit de tomber après tout. Et d’apporter un mp3 au lycée aussi.

Je ne regardais plus l’adolescent, me contentant d’aller m’asseoir à une table plus loin, en ignorant les regards autour de nous. Je pus entendre quelqu’un crier le mot gay mais je n’y prêtais pas attention. Ce mec n’était même pas un ami, je ne l’aimais pas du tout, la seule personne que j’aimais était…

J’eus un pincement au cœur en y repensant. Il me manquait atrocement, et ce manque se faisant plus présent au fil des jours. Je le voulais. Mais il était de l’autre côté de l’Atlantique, et j’étais parti de mon plein gré. Je n’avais donc pas le droit de me plaindre, si ?

Le livre en lui-même n’était pas si intéressant que ça, c’était bien ma veine de m’être foutu la honte pour un truc même pas intéressant. Je le refermais donc, ayant également abandonné l’idée d’écouter de la musique. Je posais simplement ma tête sur la table et fermais les yeux, savourant une nouvelle fois cette sensation de vide.

- Pardonne-moi, je me permets de venir te déranger. Je suis désolé encore de m'être moqué de toi tout à l'heure, mon intention n'était pas d'être méchant. À ta place j'aurais été vraiment insulté...

Je reconnus cette voix, c’était encore lui, décidément il ne voulait vraiment pas me lâcher la grappe. Je retins un soupir exaspéré, j’avais bien compris que ses intentions n’étaient pas malsaines, qu’il avait juste trouvé marrant de voir quelqu’un se casser la gueule à cause d’une échelle complétement pétée. Non, décidément, je ne comprenais pas en quoi c’était drôle. Bien sûr que la chute ne m’avait pas blessé, ça aurait été vraiment stupide si ça avait été le cas. Mais pourquoi rire d’une situation pareille ? Franchement, c’était incompréhensible.

Il avait arrêté de parler. Avait-il l’intention de continuer à me parler, ou de me laisser répondre quoi que ce soit. Parce que je n’avais franchement rien à répondre à ce qu’il venait de dire.

- Enfin, bref... Je m'appelle Lukha. Et toi?

Je lui jetais un petit coup d’œil, et je pus voir qu’il me souriait, avec un de ces sourires forcés qu’adoptent les gens pour tenter de faire bonne figure. Puis je poussais un soupir et ré-enfouis ma tête dans mes bras. Mais je n’étais pas le dernier des impolis non plus, je devais donc lui répondre. Après un long moment de silence, je sortis de l’abri que me procuraient mes bras, et plantai mes yeux dans les siens, tandis qu’il soupirait, sans doute perdu lui aussi dans de lointaines pensées.

- Craig.

C’était un minimum, ce n’était même que dalle comparé à ce que lui avait dit, mais c’était quand même quelque chose, et arriver à répondre à quelqu’un d’inconnu pour moi, relevait d’un vrai miracle. Je le regardais quelques instants, mon regard neutre et apathique scrutant tous les traits de son visage. Puis je détournais mon regard.

– Ton nom me fait penser à des carottes.

Ce devait être la phrase la plus stupide et la plus conne que je n’avais jamais sortie de ma vie. Mais le pire, c’est que j’avais même pensé cette phrase. C’était juste que la pensée avait dépassé la frontière de mes lèvres, trahissant mon subconscient avec. Je fis un petit signe de tête pour lui démontrer que je n’étais pas méchant moi non plus.

Juste un petit peu con.

Je replongeais encore une fois dans la noirceur de mes bras, quand une main se posa sur mes épaules. J’ouvris les yeux, et mon regard se posa sur un gars obèse. Je lui jetais un regard interrogateur, avant de voir qu’il tenait également l’autre gars par l’épaule. Shit.

- Vous vous amusiez bien, tafioles ?

J’entendis des rires plus loin, sans doute ses potes un peu (beaucoup) cons. Je lui fis un doigt, alors qu’il réussit à nous soulever tous deux de nos chaises en nous empoignant par le col. Et bien évidemment, les vieilles biques, le seul semblant d’autorité ici, avait pris sa pause. Génial.

– Me fais pas de gestes pareils, toi !!! Tu veux crever ?

Je soupirais en haussant les épaules, il n’oserait pas de toute manière. C’était sans doute le type qui avait balancé le mot gay tantôt. C’était ce genre de mecs que je détestais. Ils se prenaient de haut, et rabaissait au plus bas toutes les minorités qu’ils croisaient. Bien que je ne pensais pas que le mec à côté de moi fut de ce bord-là aussi.

– Lâche-nous, gros tas.

Le résultat ne se fit pas attendre, je me ramassais un énorme coup de poing dans la joue, qui m’éjecta sur la table de lecture. Allongé, comme ça, j’étais bien. Alors je décidais de fermer les yeux, et de rester là le temps qu’il faudrait.

Putain. Et après on osait dire qu’une bibliothèque c’était calme.

Allongé sur cette table, avec cette horrible douleur au visage. Putain, c’est que même si il était gros, il n’avait pas que de la graisse. Y avait pas mal de muscles aussi. Et j’en avais pris un sérieux coup. Les yeux fermés, allongé, épuisé. Je ne voulais qu’une chose, c’était dormir. Ça paraissait étrange, mais ouais. Dormir putain. Je ne pensais même plus à la carotte. Soit c’était lui qui allait prendre, ou soit c’était moi. Et pour tout vous dire, je m’en foutais un peu de qui allait prendre les coups à la place de l’autre.

Des jurons prononcés d’une voix dont les gros ont le secret retentit dans la pièce.

- Espèce de gros porc, t'avises plus à poser tes sales mains sur moi.

La carotte. J’eus un sourire intérieur. Personne n’allait prendre de coups finalement. Je ne savais pas ce qu’il avait fait, mais il l’avait bien fait, en tout cas.

- Craig? Ça va? Il ne t'a vraiment pas raté...

« Bien sûr qu’il ne m’a pas raté, carotte, on est dans la réalité ici » pensais-je très fort. Mais à la place de lui dire cela, j’ouvris les yeux et descendis de la table, en regardant l’autre. J’aurais bien voulu lui adresser un petit sourire amical, mais nous n’étions pas amis à ce que je sache. Alors je me contentais de lui faire un petit signe de tête signifiant que j’allais bien. Puis je me rassis à ma place, en me tenant ma joue, douloureuse. Je jetais au passage un regard froid au tas de gélatine assis plus loin avec son gang.

- T’as fait quoi au fait ?

Je regardais droit dans les yeux le jeune homme aux cheveux bleus qui m’avait, semblait-il, sauvé. Pff, sauvé. On n’est pas dans un Drama romantique guimauve prince charmant ici. Et aucune chance que ce type soit mon prince ou un truc du genre. Plutôt rêver.

- En tout cas merci, la carotte.

Ce surnom pouvait peut-être être vexant à ses yeux, mais je trouvais que ça lui allait bien. De toute façon, ce n’était pas comme si nous allions devenir les meilleurs amis du monde. Ou même. Je n’avais pas tellement envie d’amis en ce moment, j’étais bien avec mon apathie et ma quasi-totale solitude.

- Hum... En fait, je lui ai donné un coup de genou bien placé. Le seul problème c'est que je vais devoir le désinfecter à plusieurs reprises... Sinon, de rien. Et je ne suis pas une carotte.

Je le regardais de haut en bas, un léger sourire accroché aux lèvres. Du genre tellement léger que personne ne pouvait en avoir connaissance, sinon moi. Bien sûr que ce n’en était pas une, je trouvais juste que le surnom lui allait plus que bien, voire parfaitement. Et je comptais bien le nommer avec le plus de fois possible, vu que dès qu’un de nous deux quitterait la bibliothèque, nous n’aurions probablement plus jamais l’occasion de nous reparler. En disant reparler, je ne parle pas d’un « Bonjour ? Ça va ? Bonne journée ! » Lancé à tort et à travers si jamais on se croisait dans un couloir. Non, je parlais d’avoir une vraie discussion. Bien que nous n’en ayons pas vraiment eu une précédemment…

C’était marrant de le voir s’interroger sur le surnom dont je l’avais affublé. Moi-même je n’en connaissais pas l’origine.

C’était surement parce qu’aux USA Lucas est un prénom de roux. Donc roux égal orange. Donc égal carotte.

Ou peut-être encore que c’était parce que Lukha… Rotte. Oui je suis con, et je vous enmerde.

- Enfin... J'espère que ce tas de nourriture ambulant là-bas ne reviendra pas. Je n'ai pas envie de sacrifier mon deuxième genou... Ah, au fait, tu devrais peut-être aller à l'infirmerie pour ta joue. Elle commence à être enflée...

Je soupirais en tâtant ma joue. Aller à l’infirmerie pour si peu ? Non merci.

- C’est marrant, quand je suis tombé de l’échelle, tu ne m’as pas dit que je devais y aller, à l’infirmerie.

Mon ton était glacial, peut-être même plus qu’à l’accoutumée. Je n’avais pas spécialement envie d’être méchant, oh non. J’voulais juste lui faire ressentir son idiotie à me dire d’aller à l’infirmerie alors que je m’étais fait tapé dessus, alors que lorsque j’étais tombé de cette putain d’échelle, il n’avait rien trouvé de mieux que de se marrer. Puis je soupirais à nouveau. Je ne pouvais pas vraiment lui en vouloir, n’importe qui, même moi en fait, aurait réagi de la même manière.

Je jetais un coup d’œil vers les bureaux des vieilles biques, qui n’étaient toujours pas revenues. Tant mieux, j’allais pouvoir en profiter un peu. Je sortis mon mp3 et l’allumai, enfilant mes écouteurs, puis faisant défiler les pistes tout en esquissant une moue désapprobatrice lorsqu’une d’entre elle ne me convenait pas.

Hard rock, non. K-Pop, non. Dubstep, pas le moins du monde. Je fixai d’un œil énervé le petit appareil quand mon esprit se rappela la présence de l’autre carotte. Je relevais mes yeux vers lui. Peut-être avait-il des bons goûts musicaux ? Bah, ça valait toujours la peine de demander.

- Carotte, t’as une idée de chanson que je pourrais écouter ?

Et en attendant sa réponse, je replongeais dans la contemplation de mon mp3.

- Une chanson, hein? C'est difficile à dire, si ça se trouve, même si je t'en proposais une elle ne figurerait peut-être pas parmi celles que tu as déjà. Et je ne connais même pas tes goûts! Moi j'aime la musique du genre pop... Ou classique... Si tu m'en disais plus, je pourrais PEUT-ÊTRE t'aider, mais ça c'est si j'ai envie. Car tu as tout de même carrément oublié ma présence toute à l'heure, je te rappelle.

Il parle super vite, pour quelqu’un qui a l’ai relativement calme. Il a raison sur le fait que, s’il me propose quoi que ce soit, il y ait peu de chances que je l’aime et que de plus elle soit dans min répertoire. De plus il aime le classique, et si c’est le classique auquel je pense, eh bien waw.

J’esquisse une sorte de demi-sourire inconscient quand je me rappelle l’avoir effectivement ignoré quelques secondes plus tôt, lorsque j’étais perdu dans la contemplation de mon mp3. Sourire que je m’empresse d’effacer de mon visage. Nan mais, sans déconner. Je viens de montrer une partie de mes sentiments à ce type. Putain. J’ai les nerfs rien que d’y penser. Je détourne le regard. J’ai déjà assez de deux personnes qui voient mes sentiments, je n’ai pas besoin d’un troisième mec (en considérant que le seul individu féminin m’ayant vu pleurer (excepté ma génitrice) ressemble vachement à un mec) par-dessus le marché !

Je soupire un grand coup avant de retirer mon écouteur gauche et de le lui tendre, avant de me rappeler que tendre un objet à quelqu’un est une forme de politesse. Certains diront que je pousse le bouchon un peu trop loin, mais je n’ai pas besoin d’amis. Je n’en veux plus. Pas depuis que je sais que même les meilleurs amis peuvent se trahir par profit, intérêt ou par pure envie d’embêter l’autre.

Je le pose donc sur la table rapidement, avant de sélectionner un truc au hasard. Ça tombe sur cette chanson de ce groupe de beaux gosses plein de chirurgie à mort. Sexy, free and single. Je peux au moins dire que je remplis la catégorie single avec une sous-classe évidente.

- C’est ce genre de truc que t’aimes ?

Un léger sourire s’afficha sur ses lèvres. Ainsi, lui affichait ses sentiments au monde entier. Bah, il n’avait pas du trop mal vivre pour se permettre cela. Après tout, je n’étais pas devenu ce genre d’handicapé des sentiments pour rien. On m’avait trahi, humilié, et pire que tout, la personne que j’aimais m’avait jeté comme un vieux yaourt périmé qui trainait dans le fond du frigo depuis bien trop longtemps. Mais bon. Ce n’était plus si important que ça à présent. Du moins, j’essayais de rendre ça moins important pour moi.

- Un peu, oui. C'est de Super Junior, c'est ça? Tu as de bons goûts musicaux, quand même!

Et là, alors que j’étais plongé dans mes pensées et que sa phrase avait à peine été captée dans mon esprit (oui il connaît. Cool), j’eus un geste totalement incontrôlé. Je veux dire, ce n’est pas comme si j’avais voulu passer ma main dans ses cheveux. Non. Je n’aurais jamais fait ça. Subconscient, vous connaissez ? Eh bah c’est ça. Une idée qui vous passe en tête et que vous exécutez sans même avoir eu le temps d’y réfléchir un tant soit peu. Je retirais ma main avec un mouvement presque dégouté, les yeux effarés, et je reporte mon attention sur le mp3. Bravo Craig, bravo. Pour peu, je m’applaudirais ici et maintenant. Je suis tellement con quand je veux.

Je change de chanson pour lui foutre un truc japonais. Je ne fais même pas attention à ce que c’est, il peut même changer de chanson si ça lui chante. Je suis juste mort de honte. Je ferais bien de m’excuser, je le sais, mais s’excuser c’est pour les tapettes. Bon, j’en suis une dans un sens… Mais pas vraiment… Enfin c’est compréhensible bordel de merde !

- Pardon carotte.

Je lui lance un regard gêné avant de le détourner une fois de plus. Non mais sérieux. Où est-partie cette carapace que je m’étais foutue sur le dos ? A-t’elle décidé de se barrer au moment où j’en ai le plus besoin ? Sûrement. C’est pire que rageant… Je remets mon bonnet sur ma tête, les yeux fermés. Tain, c’que je peux être con.

Sans. Déconner. Putain.

J’avais, où plutôt mon subconscient avait forcé ma main a caressé la chevelure d’une couleur peu normale pour un être humain de cette carotte. Non, je ne l’ai pas voulu, je ne l’ai même pas pensé avant que cette action ne s’effectue !!! J’ai détourné le regard tellement je suis gêné. Bon, je ne cache pas que ce garçon est sympa, mais de là à me comporter avec lui comme je me comportais avec Tweek avant qu’il ne disparaisse… Ou plutôt que je ne disparaisse. Ou qu’il me lâche. Ou… Enfin voilà quoi.

Je le sens qui me regarde, et ça n’arrange pas mon rougissement incontrôlé. Pas de l’amour, non mais faut pas rêver non plus, juste de la gêne. De la putain de gêne. Qui ne fait qu’augmenter, et augmenter au fur et à mesure qu’il me scrute. Et cette musique, toute douce, qui ne fait qu’aggraver la situation. Putain de merde quoi !

Musique qui s’arrête bientôt, et je sens en même temps qu’on ôte l’écouteur qui se trouvait dans mon oreille de cet emplacement. Je tourne la tête vers l’autre carotte, avec des yeux interrogateurs. Il veut m’engeuler ? Non, il n’a pas une tête à faire ça. Il veut m’embrasser ? Pensée plus que stupide. Il veut me dire qu’il va porter plainte pour harcèlement sexuel ? Possible.

- Craig, dis-moi si je me trompe mais j'ai l'impression que tu ne vas pas bien du tout. J'ai cette impression depuis un moment déjà... Et je sais qu'en te le demandant, je me mêle un peu à ta vie mais tu sais... J'aimerais bien être ton ami. Je suis sûr que t'es quelqu'un de sympa. Alors si jamais tu veux en parler... Je serais en mesure de t'écouter.

Et vas-y que je te brise le cœur. Je déglutis faiblement tandis que mes yeux font le tour de la bibliothèque, espérant y trouver une échappatoire. Pourquoi pas les étagères ? Oui, c’est intéressant les étagères… Ou le sol…. Oui le sol dallé, avec ses motifs en losange blanc….. Hum…

Non, je ne peux définitivement pas l’ignorer et partir comme ça. Pas parce que ça ne serait pas poli, ça je m’en fous. Parce que quelque chose en lui…. Me donne envie de lui en parler. Et inutile de me demander quoi, je ne sais pas bordel de merde !

- Je veux bien t’en parler mais…. Pas ici…

Je me lève comme pour lui indiquer de me suivre. Je suis en plein conflit intérieur mais prêt à lui parler, même si je ne sais pas par où commencer, quoi expliquer, et tout ça…..

Au fur et à mesure que nos pas nous menaient dans le couloir qu’on empruntait pour se rendre à la bibliothèque, ma gêne augmentait. Non mais sérieusement, comment j’allais m’en sortir moi ? Je n’aime pas le contact social, je ne l’ai jamais aimé. Alors discuter de mes problèmes ? Niet. La dernière fois que je l’avais fait, ça avait été dans ce même bâtiment, quelques semaines plus tôt. Sur le toit. Avec cette fille, cette androgyne qui m’avait raconté son histoire juste après que je lui avais raconté la mienne. Et ça c’était terminé, par des pleurs de ma part, et de caresses réconfortantes. Et tout ceci allait se reproduire quasiment en public ? Bordel.

Une fois dans le couloir, il s’adossa au mur tandis que je jouais avec les cordons de mon bonnet nerveusement. Rah. Ça m’énervait déjà. Et je n’avais plus cette putain d’apathie. Elle s’était barrée je-n’sais-où, me laissant seul avec mes sentiments confus. Mon regard scrutait l’autre, en attente d’une réponse, ne serait-ce qu’infime, de sa part. Réponse qui ne vint qu’un peu plus tard, lorsqu’il leva les yeux vers moi, m’adressant un sourire rassurant, qui ne fit que me stresser encore plus.

- Tu crois qu'ici fera l'affaire? C'est très rare que des gens s'attardent dans ce coin.

J’haussai les épaules. Si je me mettais à pleurer, ce n’était pas le meilleur endroit pour me cacher du regard des autres, mais bon. Il y avait pas mal d’armoires contenant les archives, donc je m’adossai derrière l’une d’elle, à côté de l’autre.

- Euh….

Et nous y voilà. Je ne savais vraiment pas par où commencer. Par mon enfance ? Ma rencontre avec Tweek ? La raison de mon apathie ? Et d’abord, pourquoi je voulais lui raconter ma vie moi ? Non mais allô, y est pas écrit psy sur son front.

Bref, il fallait bien que je commence ma vie quelque part, vu que j’avais décidé de la lui raconter, et si pas de A à Z, en partie. Autant commencer par lui demander ce qu’il voulait savoir.

- Qu’est-ce que tu veux connaître au juste ?

Ouah, avec ma voix tremblante, ça fait juste héros de yaoi dans sa scène romantique.

Un silence de réflexion s’installa, silence au cours duquel je me triturais le cerveau. Je n’allais quand même pas lui parler de…. De Tweek ? Hein ? Non. Je ne pouvais pas parler de lui quand même. Je ne pouvais pas lui parler de la personne qui obsédait mon esprit à chaque seconde de vie que je passais sur terre, qui hantait mes journées, mes nuits, chaque moment de la journée. Je n’ai même plus de moment tranquille pour moi, où je n’en pense à rien. Si je suis en train de tirer une taffe sur une clope, je peux presque l’entendre me dire que je détériore ma santé en fumant. Et en parallèle, je peux m’entendre lui rétorquer qu’il devrait arrêter le café avant de me donner des leçons.

C’est crevant de vivre rattaché au passé, même après tout ce temps. On dit qu’on s’habitue aux choses facilement, mais je ne suis pas de cet avis. Je n’arriverais jamais à me détacher de tout ça, de ma vie à New York, de mes parents, et surtout de Tweek.

- Hé bien... Je me demandais seulement ce qui te rendait si triste, en ce moment. Ça se voit que quelque chose te bouleverse, mais si tu ne te sens pas apte à en parler, ce n'est pas grave. Je me rends compte que je suis vraiment indiscret... Et je ne voudrais pas te stresser, c'est plus pour que tu te sentes mieux que je voudrais que tu en parles. Parce que, moi, à ta place... J'aurais aimé que quelqu'un m'écoute pour parler de mes problèmes.

Je n’étais pas attentif, je n’ai même pas écouté la moitié de ce qu’il m’a dit. Je relève la tête en lui adressant un regard perdu. Bon, au moins j’ai compris ce qu’il veut savoir. Très bien, s’il le veut, je lui raconterais toute l’histoire. Même si je vais sans doute me mettre à chialer comme une gonzesse.

Il détourne le regard, l’air gêné. Je ne cherche même pas à savoir, mais j’ai besoin de toute son attention. Je toussote légèrement, et je m’adosse au mur. J’ai envie de fumer. J’ai envie de café. J’ai envie de faire un doigt à la carotte. Mais ce n’est pas ce que je dois faire.

- Bon, comme tu t’en doutes je suis pas français. Je suis new-yorkais. J’ai toujours vécu là-bas, avec ma famille et tout. C’était cool. J’avais une bande de potes avec laquelle je trainais quasiment tout le temps. On était 4. Et... enfin…. il y en avait un que…. Que j’aimais plus que les autres quoi.

Je suis tout rouge, bien joué Craig, bien joué.

- Je ne lui ai rien dit, parce que ça aurait fait bizarre… Autant pour lui que pour ma famille. Mais au bout d’un moment je n’ai plus réussi à contenir mes sentiments. Et je lui ai dit.
Ma respiration était devenue saccadée. J’étais rouge, j’avais les larmes aux yeux, et ça m’énervait au plus haut point. Je redevenais faible. Ça faisait chier. Mon majeur se leva contre mon gré tandis que ma vue se floutait peu à peu à cause des larmes. Fais chier.

- Il ressentait la même chose, et c’était plus que je ne pouvais espérer… On est sortis ensemble en cachette, pour que ça n’ait pas de répercussion dans nos familles. Mais bien sûr, quelqu’un a bien fini pour nous balancer… Putain….

Je m’essuyais les joues pour faire dégager les larmes, avant de serrer les poings et de regarder le sol comme si c’était la plus belle chose au monde.

- Et donc…. On s’est séparés, mon père m’a complétement renié… C’était horrible. Mais le pire, c’est qu’après, il n’a même pas pris la peine de m’ignorer. Non. Avec ceux que je considérais comme mes amis avant, il est revenu à la charge, me traitant de tous les noms d’oiseaux, me rabaissant. J’étais brisé. Alors j’ai décidé de ne plus exposer mes sentiments à quiquonque. La suite n’est pas importante, j’ai simplement quitté ma mère pour venir ici….

Je m’essuie les yeux, c’est dégeulasse, fais chier, il a encore vu mes sentiments, fais chier.

- Putain, maintenant tu sais tout carotte, tu m’as vu chialer, ça fait chier bordel de merde.

Je me détourne légèrement, les bras croisés sur le torse. Fais chier.

- Franchement, je... Je dois avouer que je ne sais pas vraiment quoi dire. C'est choquant... Dans le sens que, je suis vraiment dégoûté que tes amis et tes parents t'aient fait ça. C'est inhumain... Ça n'a pas dû être facile du tout pour toi, et pour lui aussi...

Pas facile ? Aha. Ce n’est qu’un euphémisme. Je renifle comme une grosse gamine, j’essuie ce qui reste de larmes sur mes joues et je soupire. Pas facile. Je souris. Il ne peut même pas se douter à quel point ce n’était pas facile.

- En tout cas, il devait vraiment être quelqu'un de bien! C'est injuste que vous ayez dû vous séparer à cause de cette histoire...

Il. Mon cœur s’accélère à ce simple mot, et en quelques fractions de sec ondes, je revois le petit blond innocent crier mon prénom, gémir quand je l’embrasse un peu trop fortement ou que je le force. Je le revois me tenir la main. À l’époque, rien que ce contact avec lui me suffisait. Et maintenant, je donnerais et ferais n’importe quoi ne serait-ce que pour le revoir.

Je sens un regard insister sur moi, et je me tourne vers le petit bleu. Le petit bleu. Un schtroumpf. Non, le surnom carotte lui va mieux. Parce que c’est contradictoire. Genre il est bleu, et moi je l’appelle Carotte. Et une carotte c’est orange.

…. Laissez tomber.

- J’t’en veux pas hein.

Je souffle. J’ai envie de fumer, là, maintenant, tout de suite. Mais la journée est bientôt finie. On va devoir rentrer au pensionnat, aller bouffer, puis dodo. Mais sécher une fois de plus ne me fera pas de mal.

Je jette un dernier regard au petit, avec un sourire, ce qui m’arrive une fois tous les milles ans.

- Je sors sur le toit, tu veux venir, ou ?

Mais si je vais là-bas, je serais seul, livré à moi-même, livré à mes sentiments. Je ferme les yeux et soupire avant de les rouvrir.

- Enfin si tu veux pas venir, je te force pas. On peut rester ici à parler aussi.

Ou comment je dis de manière subtile que j’ai envie de rester avec lui.

Il réfléchit quelques instants, avant de me regarder avec un grand sourire collé aux lèvres :

 
-          D'accord, je vais venir. J'aime bien aller sur le toit, de toute façon. Ça fait changement de toujours resté enfermer dans le lycée.

 
Je ne m’attendais franchement pas à ce qu’il accepte de me suivre. J’aurais plutôt cru qu’il allait me chanter les méfaits du tabagisme passif ou actif. Mais non. Il était étrange ce garçon. Un coup il se moque de moi parce que je me casse la gueule en tombant d’une échelle, ensuite il me sauve – si on peut appeler ça un sauvetage – d’un espèce de gros gorille, puis il me fait chialer en me faisant parler de mes problèmes, et maintenant il accepte de me suivre sur le toit. Vraiment, vraiment étrange.
 
Je suis sur le point de me retourner et d’aller sur le toit, quand il me prend de cours et… me donne une tape dans le dos. En riant en plus de ça. Ce geste est amical, non ? Ça  veut donc dire que nous sommes amis… depuis quand ? Je me pose plein de questions, je réfléchis sans doute trop, mais ça me fait vachement chier ça quand même. Je veux dire, sommes-nous amis juste parce qu’on se connait depuis moins de deux heures et qu’on  a discuté ? On ne peut pas être potes juste comme ça… Je retourne la question dans tous les sens dans ma tête, mais je vous jure, ça me perturbe.
 
-          Je suppose que c'est parce que tu es en manque de cigarettes, p'tit accroc ?
 
Il a vu juste. Je lui jette un regard froid, avec une sorte de micro-sourire collé au visage. Je commence à montrer de plus en plus ce que je ressens, et ça aussi en un sens ça me fait chier. Voilà. Je m’énerve encore tout seul. Ce que je peux être con.
 
-          J’peux te poser une question ?

 
Je n’attends même pas qu’il réponde. Je suis vraiment trop gêné de demander ça. Putain de merde. Qu’est-ce qui me prend ?
 
-          On est amis ?
 
T’es vraiment qu’un putain de con Craig.