Je m'étais levée de bonne humeur aujourd'hui. Enfin, de bonne humeur est un grand mot, disons que j'étais moins irritable que d'habitude. Ne trouvant rien à faire, j'étais sortie en ville, espérant trouver un endroit au calme. La bibliothèque était fermée, c'était les soldes au centre commercial et il y avait une animation sur la place.
Argh, ma bonne humeur commençait déjà à être ébréchée. J'avais horreur d'être entourée d'une masse de personnes bruyantes, qui riaient ou juste souriaient. C'était écoeurant. Surtout en plein jour comme ça.

Même si je paraissais normale -et encore, pas tant que ça- j'étais toujours moi à l'intérieur. Et je m'appréciais beaucoup ainsi, seulement je devais être la seule à m'aimer. Pff, à quoi bon, on ne peut compter sur les autres, si hypocrites, si stupides, ignobles et cruels. On s'attache à une personne, on lui fait confiance et elle vous écrase le coeur, le déchire comme un vulgaire détritus.
Mais moi, Alyss Winter, n'avais plus de coeur. Plus de coeur, plus de problème. Cependant, je continuais à profiter de la vie et tout ce qui m'était bénéfique, je le faisais.
Je décidai de rentrer au dortoir, il faisait frais et cela m'empêchait de me concentrer sur moi-même. La température assez basse blanchissait ma peau déjà très pâle et certaines personnes commençaient à me regarder.

Soudain, j'eus envie d'un jus de cerise. Okay, c'est une chose étrange, ce n'est pas très commun mais là d'où je venais on en trouvait facilement.
Je vis alors l'enseigne d'un bar et me dirigeai lentement vers le bâtiment, d'une démarche hautaine et glaciale. Je poussai la porte et la plupart des hommes se tourna vers moi. Mes cheveux blancs et mes yeux rouges devaient sûrement les intriguer. Haaa, je ne m'y ferais jamais. Un rictus de dédain étira ma bouche vers la gauche et je continuai mon avancée parmi les tables.

Au comptoir, je remarquai une personne, un homme à en juger par sa silhouette, qui ne me prêtait pas attention. Enfin une personne qui vivait sa vie sans s'occuper des autres, voilà pourquoi j'aimais les bars. Ses cheveux étaient d'ailleurs aussi inhabituels que les miens.
Je m'approchai à sa droite et lui jetai un regard discret. Il mangeait un citron d'une manière étrange, maniant son canif comme un expert. Une drôle d'aura se dégageait de lui, sombre, mystérieuse. Bien.
Je me tournai vers la barmaid. J'avais l'habitude des bars mais ne prenais jamais d'alcool, en réalité j'avais peur de ce que cela pourrait me faire. Silencieuse je restai debout. J'avais honte mais la raison était tout simplement que je n'avais jamais réussi à m'assoir sur ces tabourets de bar.

-Cerise... marmonnais-je à la serveuse

Celle-ci me regarda d'un oeil suspect. Elle me trouvait impolie. En effet je l'étais. Je regardai à nouveau l'étrange garçon qui était à côté de moi. C'était ma façon d'engager la conversation. J'observais une personne jusqu'à ce qu'elle m'adresse la parole. Un verre apparut devant moi, rempli d'un liquide qui sentait assez fort. Je jetai un oeil à la serveuse, -ce n'était pas du jus de cerise !- puis continuai "l'inspection" de mon voisin.

Malgré mon regard pesant sur lui, le jeune homme du bar ne semblait me porter aucune attention. Il préférait se focaliser sur son citron, avec lequel il avait l'air de se délecter, tellement que ça en devenait étrange.
Reportant ma concentration sur mon verre de liqueur, je commençai à me sentir frustrée et vexée par la froideur de ce type. Non pas que cela était impoli, mais disons que je n'étais pas habituée à ce que quelqu'un se fiche complètement de moi. A croire que ce gars n'était pas normal. Vous savez, comme un assassin sanguinaire et sans coeur qui ne prête attention qu'à son prochain meurtre.

Tiens, justement quand je disais qu'il était bizarre, il arracha une page d'écriture de son carnet, dont il s'était servi pour une obscure raison, comme s'il était muet. "Comme si" ? Mais oui , il devait être muet, cela expliquerait donc son attitude quelque peu désinvolte.
La serveuse posa devant lui un diabolo citron avec une tranche de citron vert. Ne se lassait-il jamais de ce fruit acidulé qu'était le citron ? Je tournai donc complètement ma tête vers lui. Son regard adressé à la serveuse était assez effrayant, moi-même j'aurais sans doute eu peur si j'avais été à la place de cette pauvre femme. Cette pauvre femme qui ne savait pas servir correctement un client !

- Excusez-moi du retard, nous...

Ah, pauvre barmaid, elle était au sommet de la confusion, et le regard inhabituel de son client n'arrangeait pas les choses. Allait-il enfin me regarder ? Même s'il me fixait de la même façon que la serveuse, au moins, j'aurais capté son attention. J'espérai toujours que ce garçon allait au moins me remarquer, après tout, il avait l'air intéressant et je n'avais pas envie de rentrer.
Cependant, il écrivit sur la feuille arrachée, sans avoir l'air de se soucier le moins du monde de ma personne.

- Trois euros, monsieur.

Il sortit alors un billet de 50€ de sa poche. Alors comme ça les billets tombaient du ciel dans le coin ? Apparemment non puisque la plupart des personnes présentes le fixèrent étrangement. En particulier un homme, assez musclé, qui s'y intéressait de près, de plus en plus près d'ailleurs puisqu'il se dirigeait vers nous. J'attrapai mon verre d'alcool - j'allais le payer après tout- et fis un pas sur le côté. Si le jeune homme était malin, il en ferait de même. Quand je me tournai de nouveau vers lui, il se levait, mais pas pour éviter la bagarre, non, en réalité il rejoignait carrément cet homme hostile.

- T'as trop d'argent sur toi, t'as peur ou quoi ? J't'ai bien observé, tu te crois fort , mais tu ne vaux rien ! Files-moi tes billets. Tous.

Euh, ça ne me semblait pas naturel du tout comme réaction à une provocation de ce genre, de sourire dédaigneusement, d'arquer un sourcil et de se préparer au combat, sûr de soi. Le pire dans tout ça était que ce gars semblait prendre ça avec froideur, comme par habitude. Son sourire devint d'ailleurs carnassier, comme s'il était excité par la tournure que prendrait cette altercation, comme s'il était sûr d'avoir le dessus.
Fascinée et captivée, j'observai plus intensément que jamais cet inconnu qui débordait de confiance en lui mais qui m'inspirait confiance également.

Son adversaire ne sembla pas apprécier son assurance:

- Je ne veux en venir aux mains. Bouges-toi, gamin !

Haha, il ne tarderait pas à craquer malgré la phrase qu'il venait de prononcer. Oh, un petit combat serait assez divertissant et j'adorerais voir les compétences du jeune garçon. Celles-ci se révélèrent d'ailleurs très élevées, tout se déroula comme dans un film : le garçon décala son verre, l'homme sortit un couteau.

- Vous parlez beaucoup trop.

- Haha ! laissai-je échapper.

Alors comme ça il n'était pas muet ! Loin de là d'ailleurs. La serveuse écarquilla les yeux, comme si elle avait été trahie. Alors quoi, il ne lui devait rien après tout !

Le "film" continua. Game over. Mouvements de souplesse, petite phrase de victoire et le jeune homme retourna s'asseoir tranquillement. Je devais avouer être moi-même choquée, et j'avais pourtant vu pas mal de bagarres de bars.

- Excusez-moi de ce léger désagrément...

La serveuse sourit -apparemment elle n'était pas traumatisée-. Le garçon se tourna alors -enfin !- vers moi, commençant son diabolo. Surprise, je rosis, étonnée qu'il daigne enfin m'accorder l'attention que j'avais espérée depuis un moment. Avec lui, ce devait être quand il voulait, avec qui il voulait !

- Mes salutations, demoiselle...

Sa façon de parler si distinguée contrastait tellement avec son ton, froid, qui laissait à penser qu'il prenait la chose -moi en l'occurrence- avec une neutralité déconcertante.
Il rangea dans son sac les citrons qu'il avait obtenus et sourit -froidement évidemment-.

- Vous savez, vous ne trouverez que des liqueurs à la cerise, à la rigueur..

Moi qui pensais commencer à cerner sa personnalité, je me fourrai le doigt dans l'oeil. Ce type m'agaçait, à croire qu'il faisait tout pour. Vexée qu'il me dise cela, je laissai échapper sans réfléchir un absurdité sans nom :

- C'es tout ce que tu trouves à dire ? Depuis le temps ?

Okay, la boulette du siècle, ce que je venais dire, en plus d'être absurde, était totalement déplacé, voir agressif. En plus, je me rendais compte que venant de lui ce qui avait été dit n'était peut-être pas une provocation. Mes joues déjà roses s'empourprèrent de plus belle, si bien que je devais maintenant avoir les joues rouges. Honteuse d'avoir laissé paraître ça je tentai une approche.

-Euh...

Nope, je ne trouvai rien à dire.

-Non, sorryoublie ce que j'ai dit, soupirai-je vaincue.

Ah, que faire maintenant ? Alors que j'avais attendu qu'il me parle, je ne savais pas quoi lui dire maintenant. Ma dernière option était peut-être de boire d'un coup ma liqueur, de payer et de m'enfuir sans un mot. Mais Alyss Winter n'étais pas lâche, loin de là, elle savait faire face à toute les situations ! Je le regardai donc de haut en bas, retrouvant mon rictus habituel.